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et sous l’ancien régime, plus complexes que l’on ne se les représente, n’ont pas été du tout ce que l’on prétend dans la plupart de nos histoires. De même qu’il y a tout autre chose que de la complaisance ou de la flagornerie dans les madrigaux des « philosophes » à l’adresse des maîtresses royales, et dans l’exagération de leurs flatteries au prince, il y a tout autre chose aussi que la vanité de paraître « avancés, » dans la condescendance ou la bienveillance même avec laquelle les grands seigneurs et, ce qui est plus important, les « gens en place, » traitent les « philosophes. » La vérité, c’est qu’ils pensent de même, « gens en place » et « philosophes, » sur les objets essentiels de leurs discussions, et ni les uns ne sont des « réactionnaires, » ni les autres des « révoltés. » Philosophes et gens en place, ils estiment semblablement que leur fonction sociale est de procurer « le bonheur du peuple. » Par des moyens différens, ils admettent, les uns et les autres, que c’est à cela qu’ils « doivent » travailler. A quoi si nous ajoutons qu’ils se définissent « le bonheur du peuple, » à peu près de la même manière, et que, par exemple, ils ne le font plus du tout consister, — comme au temps de Louis XIV, dans la « gloire du nom français, » — mais dans la sécurité de la vie quotidienne, dans la prospérité du commerce et de l’industrie, dans l’aisance relative, et au besoin dans les joies du confort et du luxe, on ne s’étonnera pas qu’en dépit de toutes leurs chicanes, les « philosophes » se soient assez bien entendus avec le Pouvoir. Doit-on regretter d’ailleurs que cette alliance n’ait pas été plus étroite ? Il aurait fallu pour cela que le « pouvoir » comprît que sa force n’était pas dans les préjugés dont il s’instituait le défenseur, — ce qui est une question que je ne voudrais pas trancher en passant ; — et il aurait surtout fallu que les « philosophes, » avec cette étrange obstination qui était la leur depuis Rabelais, ne ramenassent pas toutes les questions à la question religieuse.


II

M. Roustan est moins neuf sur les rapports des « philosophes » avec les « salons ; » mais aussi est-il plus court ; et, en effet, quoiqu’il n’y en ait pas, à notre connaissance, d’histoire complète et suivie, n’a-t-on pas tout dit, ou presque tout, sur les « salons du XVIIIe siècle ? Il est d’autre part bien évident que si