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se montrent pas moins soucieux d’entretenir leurs bons rapports avec les puissances : tel d’Alembert et tel Marmontel. Quesnay est le médecin de Mme de Pompadour. Marmontel en est l’une des créatures, et il faut lui savoir gré dans ses Mémoires de ne nous l’avoir point dissimulé. Et, à la vérité, ce n’est pas le roi de France qui « pensionne » d’Alembert, c’est le roi de Prusse, et on voit rarement d’Alembert à Versailles, mais on ne tarde pas, en cherchant un peu, à lui découvrir, de tous les côtés, des liaisons utiles. Je ne parle pas d’Helvétius, qui est « du monde » et presque de la Cour ; de Buffon, qui n’est pas aussi grand seigneur qu’il le voudrait, mais qui est, en sa qualité de directeur du Jardin du Roi, un personnage presque officiel. Il l’était déjà, comme d’Alembert, en sa qualité d’ « académicien, » car, si nos « philosophes » briguent le fauteuil académique avec l’âpreté que l’on sait, sans doute c’est que leur vanité de gens de lettres y doit trouver sa satisfaction, mais c’est qu’alors, dans cette société fondée et construite sur le privilège, l’Académie, les Académies, l’Académie des sciences comme la Française, donnent ce qu’on appelle « un état dans le monde, » un titre honorifique, mais avec ce titre un rang, des droits, une « situation ; » et c’est ce que d’Alembert se charge de prouver à Fréron en le faisant emprisonner quand il juge que le journaliste a passé la mesure de la critique permise. Tous ces faits, on le voit, se rapportent à la même intention des deux parts, laquelle est d’établir, entre les « philosophes » et le « pouvoir, » une entente cordiale. Et je ne sais s’il faut regretter que cette entente ne se soit point faite, mais beaucoup de choses se sont passées comme si elle s’était faite, et on prouverait, je crois sans beaucoup de difficulté, qu’à défaut de Louis XVI, les Malesherbes, les Turgot, les Necker partageaient en plus d’un point les idées « politiques et sociales » de Voltaire.

Par là aussi, par cette conviction, cette pensée de derrière la tête, que l’on finira bien par s’entendre, s’explique également ce que l’on est d’abord tenté de trouver assez étrange dans la conduite de certains personnages. Je songe, en écrivant ceci, à ce très honnête homme de Malesherbes, dont j’ai conté jadis, ici même, les libertés qu’il se donna, dix ans durant, de 1750 à 1760, dans ses fonctions de « directeur de la Librairie. » Les fonctions étaient mal définies, et peut-être eût-on été embarrassé de dire en quoi précisément elles consistaient ; mais, d’une