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rappelons-les ! Mais ne les ayons pas en quelque sorte perpétuellement à la bouche ou sous la plume, et, quelquefois, traitons aussi les questions historiques… historiquement. Nous pouvons dire de ce point de vue que la tactique des « philosophes » à l’égard du pouvoir, et quoi que nous puissions penser du résultat, a été constamment de solidariser l’intérêt du « pouvoir civil » ou, comme nous dirions, du « pouvoir laïque » avec l’intérêt de la libre pensée ; de persuader au Pouvoir, et quelle qu’en fût la forme, république ou monarchie, que cette solidarité devait être conçue comme l’un de ces « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ; » et qu’ainsi, finalement, non plus dans son propre intérêt, mais dans l’intérêt supérieur, et en vue du progrès de la civilisation, il appartenait au pouvoir de protéger, de favoriser et de développer cette « solidarité. »

Or, dès le temps même de la Régence, et du Club de l’Entresol, il ne manquait pas à la Cour, et dans les ministères, de gens qui, formés à la même école que nos « philosophes, » contemporains et condisciples de Voltaire ou de Montesquieu, partageaient plus ou moins leurs idées sur le rôle social de la littérature et, l’intérêt que le pouvoir trouverait à « utiliser » le talent. C’est parce qu’il y en avait que Voltaire, on le sait, faillit écrire une réfutation des Provinciales : on faisait à l’esprit cet honneur de croire que, du côté qu’il se mettrait, de ce côté aussi se déclarerait la victoire ! Un ministre plus hardi que le cardinal Fleury n’eût donc pas eu beaucoup de peine à se donner pour conquérir entièrement au pouvoir le peu qu’il y avait alors de « philosophes, » Voltaire tout jeune, Fontenelle déjà vieux, l’abbé de Saint-Pierre, les Terrasson, les Alary, les Dubos, les d’Argenson, si l’on le veut, le marquis et le comte ; et il n’eût fallu pour cela que se relâcher un peu sur l’article de la religion. Si l’on ne le fit pas, et, pour notre part, nous n’hésitons pas à dire que l’on eut tort, — car, en vérité, il sera toujours extrêmement dangereux pour l’Église et pour la religion d’être protégées ou soutenues d’une certaine manière, — mais la tradition de ces rapports demeura, et durant tout le siècle, si l’on essaya sans succès de « nouer » définitivement l’alliance, on se souvint du moins de l’avoir « négociée. » C’est justement ce qui rend l’histoire de ces rapports si difficile à débrouiller, et souvent si contradictoire, ou, pour mieux dire, si incohérente. On veut et on ne veut pas. Il semble qu’on lâche aujourd’hui la bride, et,