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s’opiniâtra dans son système de défense. Il retourna à Mme de Mirabeau ses reproches, avec des énoncés nouveaux, dont les uns affectaient la réputation d’Emilie, et dont les autres découvraient l’honneur de Mme de Limaye, compromis par Mirabeau. M. de Limaye pensait affaiblir de la sorte ses torts personnels. Emilie reprit aussitôt la plume contre lui :


A Manosque, le vendredi 20 avril 1774.

Quelles imputations vous ai-je donc fait si mal à propos, monsieur ? Je vous ai reproché d’avoir accusé faux en disant ce que vous convenez être faux. Certainement je n’ai ni cru ni pu croire causer une révolution à Mme de Limaye. Il est vrai que de longs malheurs m’ont aguerrie à supporter la douleur. Je suis bien fâchée assurément de l’incommodité de Mme de Limaye ; mais pouvais-je me laisser passer dans son esprit pour complice de vos torts et solliciteuse de votre dérangement ? Non, je ne le pouvais pas ; et quelle que soit votre opinion à cet égard, il me suffit de la mienne.

Je ne répondrai, Monsieur, absolument rien à la longue histoire racontée dans votre lettre. Il me semble qu’elle-même renferme sa réponse ; et d’ailleurs mon mari ne craindra pas d’en suivre les détails avec vous.

J’ose croire, monsieur, que vous êtes le premier qui ayez essayé de répandre des nuages sur ma réputation. J’ai le droit d’espérer que vous serez le dernier, c’est-à-dire le seul, ainsi je ne crains rien pour elle.

J’ai accepté des bijoux de mon mari ; quelle qu’ait été ma conduite à cet égard, connaissez-vous assez mes motifs pour oser la juger ?

J’ai si peu prétendu faire mystère de ce que je vous ai écrit dans cette circonstance, que j’ai envoyé à Mme de Limaue, comme mon mari lui envoyé encore, la copie de cette lettre.

J’ai l’honneur d’être très parfaitement, monsieur, votre très humble et très obéissante servante.

MARIGNANE DE MIRABEAU.


Pour en terminer, on convint d’en venir à une confrontation. Elle eut lieu chez M. de Limaye, à la Bastide-des-Jourdans. Tout s’y passa en apostrophes et en dénégations aussi confuses que véhémentes, sauf de la part de Mirabeau, qui garda un silence obstiné. Auparavant, il n’avait pas omis d’écrire beaucoup, tant à M. de Limaye pour le gourmander en calmant ses susceptibilités de mari trompé, qu’à Mme de Limaye, pour la rassurer au sujet de sa réputation compromise comme à l’égard de sa fortune. Mais voici que l’attitude intraitable, le langage violent de sa cousine, lui disaient assez que c’en était fini de leurs amours et qu’il n’était pas d’accommodement possible. Il affectait donc de rester en dehors d’un débat qui, dans son esprit, était tranché par la seule solution noble et généreuse qui lui convînt. Il se