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trouvait une occasion rare de se surpasser. Il ne la saisit pourtant que de mauvais gré. Il eût préféré voir tant de gaspillage s’appliquer d’abord à l’acquittement de ses dettes, mille louis environ, dont il lui importait d’être libéré dès son entrée en ménage, s’il voulait vivre de son revenu sans faire de nouveaux emprunts. C’est ce qu’il eut l’honnêteté d’avouer à son futur beau-père, avant la signature du contrat, en le priant de faire les noces au château de Marignane. Mais le marquis, persuadé que l’honneur de son nom était intéressé à rendre la ville d’Aix témoin de sa magnificence, et que la famille de son gendre ne ferait point de difficulté à payer les dettes de celui-ci, n’en démordit pas. Dès lors, Mirabeau se crut interdit d’étaler moins de faste et moins de confiance. C’était la coutume des mariés en Provence de remettre à leurs invités de petits présens en souvenir. Les amies d’Emilie l’avaient comblée de riches cadeaux ; son mari ne jugea pas convenable de leur en offrir d’inférieurs ; il se fût senti d’autant plus humilié de n’y pas mettre un ruineux excès qu’en se proposant, comme on sait, au choix de Mlle de Marignane, il lui avait promis fort au-delà de ce que la ladrerie de son père lui permettait de tenir. Emilie n’avait reçu, avec un trousseau en linge et en dentelles où pas une fanfreluche ne manquait, qu’une seule robe, et blanche. Mirabeau dut l’habiller, s’habiller lui-même, habiller leurs gens. Son oncle le bailli mit cent louis dans la bourse de la mariée ; c’était trop peu, et il y fallut rajouter. Enfin, il incombait au jeune couple de visiter les communautés de Marignane et de Mirabeau et d’y faire les largesses d’usage. Tous ces articles ensemble formaient un total énorme. Mirabeau engagea son revenu de la première année, 6 600 livres, et demanda aux juifs de lui prêter le surplus qui, pour ne le mener qu’en novembre, l’espace de cinq mois, était de plus du double, les intérêts non comptés. Ces misères, acceptées pour soutenir un si bref éclat, distillaient dans lame du comte une affreuse amertume qu’il ne put bientôt plus contenir. En quittant Aix, mariés, parens et amis se rendirent au château de Marignane, où les fêtes recommencèrent. Un jour que la compagnie, un peu « embouffie de bombance, » était allée à Berre pour voir les salins, l’excès du vin trahit la secrète irritation de Mirabeau, qui se porta à des violences sur le valeureux capitaine de vaisseau de Saint-Cézaire, ami des deux familles et le sien. On les réconcilia assez vite : mais de retour à Marignane, Mirabeau