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fermentent à gros bouillons. Belle âme, bon cœur, imagination brillante, raison saine ; et tout cela, dangereux, altéré, raboteux, faute de quelque vingt années de plus. Patience… » A quoi bon ? Plairait-il autant, une fois refroidi, poli, nivelé, par la dure et commune expérience ? Sa laideur même n’ajoutait-elle rien à son charme ? Quel visage, à le bien voir, était plus touchant et mieux parlant que le sien ? ce visage où, disait le bailli de Mirabeau, « derrière les coutures de petite vérole, il y avait du fin, du plaisant, du gracieux même, » et que les agitations de l’âme, feintes ou sincères, transfiguraient. Comme il avait fait en Corse ses preuves de bravoure et de talens pour le militaire, Mirabeau persuadait aisément qu’avant tout il était né homme de guerre. Il n’était pas sans fortifier cette persuasion par un certain mauvais ton de caserne, qui choquait d’autant plus la bonne compagnie des hommes que les hommes savent trop comme ce ton-là plaît aux femmes. Ses procédés étaient, au reste, d’un amant délicat, ingénieux et magnifique. Outre la science d’aimer, il avait toutes sortes d’autres connaissances. Il composait avec bonheur et facilité dans tous les genres, dessin, littérature, musique. Mais sa voix flexible, étendue, pleine et qui passionnait tout, la plus douce qui fût à l’oreille dans la mélodie et dans le discours, sa voix ravissait particulièrement Emilie, si bien douée elle-même sous ce rapport. Aussi la jeune fille avait-elle un tout autre accent quand elle mariait son organe à celui du comte, que lorsqu’elle accompagnait Mlle Jaquet, dans son duo favori de Zélis : Formons des chaînes éternelles

Néanmoins, elle avait donné sa parole à M. de la Valette, et le contrat allait être signé dans les huit jours. Il n’y avait plus d’espoir qu’elle rompît cet engagement. Mais l’effronté comte de Mirabeau n’était pas homme à renoncer avant la dernière minute. L’hôtel de Marignane était situé à Aix dans la rue Mazarine. Un côté seulement de cette rue comprise entre les rues Saint-Jacques et Saint-Lazare était bâti de fort belles maisons ; sur tout le côté opposé ne s’ouvraient que les remises et écuries des somptueux hôtels élevés le long du Cours, depuis la rue de la Monnaie jusqu’au rempart, au couchant de la ville. La chronique rapporte qu’un jour, de bon matin, les palefreniers s’entendirent interpeller, d’une fenêtre de l’hôtel Marignane qui éclairait l’escalier sur la rue Mazarine, par un homme en manches de chemise, le col débraillé, qui mettait beaucoup d’ostentation à