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Paris, à Aix et à Tourves, sa charge de maréchal des Camps et armées du Roi, n’empêchaient pas sans doute qu’il ne fût plus que quadragénaire et de complexion apoplectique ; mais à l’âge de vingt-deux ans, M. de Mirabeau était plus gros, plus laid, et infiniment pauvre en comparaison d’un tel seigneur, du grand air et des bonnes grâces de qui rien n’approchait. Tous les parens et amis du comte de Valbelle voulaient son union avec Emilie ; sa propre mère, alors en résidence à Paris, fit le voyage de Provence pour l’y déterminer. Mais Mme des Rolands n’attendait que la mort de son mari octogénaire pour épouser son amant ; elle ameuta sa coterie ; et incertaine de l’emporter aussi longtemps qu’Emilie resterait fille, elle lui trouva un autre parti, le jeune marquis de la Valette, en faveur de qui elle fit parler à M. de Marignane par Mme de Croze. Aussitôt, M. de Marignane entre dans les vues de sa maîtresse. Emilie ne fait point de difficultés. M. de Valbelle lui-même, avec ses grands airs, dit : « J’arrangerai cela. » Voilà le mariage conclu, quoique la douairière de Marignane « jetât feux et flammes, quoique le marquis de Grammont, le marquis de Gaumont, le vicomte de Chabrillant, M. d’Albertas, etc., se présentassent alors avec les propositions les plus séduisantes. Je parais, moi aussi… » C’est le comte de Mirabeau qui parle ; il devrait dire plutôt : je reparais.

Un mot de son père sur sa précédente déconvenue l’avait piqué ; à savoir « que toutes ses démarches étaient dignes les unes des autres et qu’il avait perdu sa fortune par sa faute. » Pour ce fils qui était son aîné et le futur chef de sa maison, mais qu’il ne cessait pas de vilipender et de renier, le marquis de Mirabeau ne cessait pas non plus de rêver des plus grandes alliances. Il ne s’était transplanté de Provence à Paris que dans le dessein de s’acquérir personnellement assez d’influence et de renom pour prétendre à enter sa race sur les plus illustres et les plus fortunées souches de France :


Si j’avais eu un fils comme un autre, expliquait-il plus tard au bailli son frère, il aurait trouvé l’effet de ma transplantation. Je ne voulus jamais de Versailles, il ne convient point à l’esprit de notre race et à aucun, je crois, à tout prendre. J’avais trop peu de savoir-faire pour conserver à la fois et le service et le patrimoine de mes pères. Je le dis au [duc de] Nivernais qui seul, (pour avoir un consort peut-être) fut de mon avis quand je quittai : Je sais tout ce que je perds d’espérance, mais mon père après avoir mené la vie et acquis la réputation la plus distinguée, forcé par les brèches de son héritage à disparaître, ne nous a fait trouver à notre entrée dans le monde que de froids