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lumière de Romée, qui entreprit une tâche si belle et si mal agréée. » Son fils, le comte de Vence, demi-frère de M. de Marignane, ne le rappelait pas mieux que lui. Il avait plusieurs fois défait sa fortune, faute de sens et de conduite. Mais la comtesse ne se lassait pas de rétablir ce qu’il ruinait. Sans acrimonie, sinon sans hauteur, elle ne veillait qu’à répandre autour d’elle, sur sa nièce Emilie et sur ses propres enfans, trois filles et un fils, le charme engageant de ses vertus et de ses connaissances : noble ensemble, scientia, sapientia, qui inspirait au jeune comte de Mirabeau une admiration et un respect passionnés. Il gémissait de n’être pas né le fils d’une telle mère : il n’eût voulu être l’époux que d’une telle femme ; et bref, pour parler comme lui, la comtesse de Vence exaltait son génie en élevant son âme. Emilie sentait un peu différemment à cet égard. L’air et le ton, l’avarice et la cupidité de ses grand’mère, mère et tantes, lui rendaient chaque jour plus antipathiques le langage de la sagesse, le goût des études sérieuses, les pratiques de l’économie, les exemples d’une forte morale ; ses préférences allaient aux batifolages de MM. de Vence ; il lui venait comme un blâme du peu d’estime où la comtesse tenait ce vieillard futile et ce mari brouillon. Au reste, l’un et l’autre étaient incapables de suggérer à la fille de leur obligeant et aimable ami de Marignane, rien de répréhensible ; ils n’avaient d’occupation qu’à la récréer, par des charades et des vers de leur façon ; et l’on ne saurait supposer aucune intention obscène au rébus dont Emilie entretient si naïvement son père dans cette petite lettre du 6 octobre 1769, écrite du château de Marignane :


Vous m’avez fait beaucoup d’honneur, mon papa, de croire que j’étais l’autheur des trois rébus qui suivent la réponse de M. de Vence. Ils sont bel et bien à lui, et il est même fort attaché à l’un d’eux que vous avez si fort méprisé, et pour moy je ne peux pas le haïr ; car il m’a valu de l’argent. Mlle Jaquet et, moy avions parié contre M. de Vence que M. son fils ne devinerait pas son rébus, ce qui arriva et nous gagnâmes. Le mot du premier rébus de M. de Vence est chançon, celui du dernier est balet : je n’ose pas vous dire le mot du mien que vous n’avez pas deviné, parce que vous trouveriez l’ouvrage trop mauvais et que vous vous moqueriez beaucoup de l’auteur. M. le comte de Vence n’est point ici, nous ne l’aurons pas possédé un jour entier ; mais je prierai M. son père de lui faire part de toutes les belles choses que vous lui avez dites dans votre lettre. Assurément, mon cher papa, qu’il vous en remerciera la première fois que vous vous trouverez ensemble. Il avait fait à Aix un autre rébus qui est fort