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tribun. La comtesse de Mirabeau eut-elle donc si peu de charmes qu’elle ne mérite pas d’occuper dans l’histoire, aux côtés de son prestigieux époux, la place qu’auprès de don Juan la légende a faite à Elvire ?

Elle serait moins dédaignée si elle ne s’était pas effacée d’elle-même après un fâcheux éclat. C’est ainsi qu’en 1783, à Aix-en-Provence, le retentissement de son procès en séparation de corps mit en évidence plutôt qu’en valeur Mme de Mirabeau : l’arrêt prononcé, elle disparut de la scène en grande confusion, ayant conquis sa liberté aux dépens de sa réputation, tandis que son mari, pour avoir plaidé et perdu lui-même sa cause, devenait l’idole de sa province et l’homme par excellence des besognes de la Révolution. Depuis ce temps, nul ne s’est plus occupé d’elle qu’en fonction de Mirabeau, pour ainsi dire ; on n’a tenté de lui restituer aucune physionomie, aucune valeur personnelle ; tout le monde croit savoir comment elle eût dû vivre, et nul ne demande comment elle vécut.

Pourtant, Mirabeau a protesté par la conduite de sa vie entière contre ce dédain trop sommaire et injustifié. Il a protesté à voix basse, par d’inefficaces démarches, et en employant des intermédiaires qui, à son exemple, balbutiaient ou tergiversaient. Mais pour n’avoir été ni ostensible ni directe, sa protestation n’est pas moins avérée. Sa sœur aînée, la marquise du Saillant, une de ses maîtresses, Mme de Nehra, son père, son oncle, ses vrais amis, ne lui représentaient pas en vain sa femme comme la seule capable de le régénérer et de servir à ses hautes visées. A leurs propos, le plus souvent, il ne répondait que par des lazzis ou qu’en faisant la pirouette ; mais c’était par respect humain, pour ne pas s’humilier devant la comtesse dont il redoutait les récriminations ou les refus. Il finissait par convenir qu’elle lui manquait, par rédiger les lettres de sa sœur qui sollicitaient une réunion. Ne la convoitait-il donc que pour sa fortune ? La comtesse ne pouvait en avoir une assez grande, du vivant de son père encore très jeune, pour subvenir à l’effrayante dépense qu’il soutenait, parvenu au pouvoir et à la renommée. Au