Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/551

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fut ainsi. » Son fils, Pierre (il Gottoso, le Goutteux), appliqua fidèlement la maxime de la famille, être sans paraître. Malade, ne quittant presque jamais son fauteuil ou son lit, il gouverna pourtant, de loin, en silence, la démocratie florentine, jusqu’à sa mort, en 1469. Ses deux fils, Laurent et Julien, se chargeaient, malgré leur jeunesse (seize et vingt-deux ans), de le représenter, avec aisance, lorsqu’il fallait. Tous deux, mûris avant l’âge, dans ce milieu fervent de culture, non moins ardens à tous les exercices du corps qu’à ceux de l’esprit, s’attachaient déjà, par leurs séductions, toute la jeunesse dorée. La précocité de tous ces éphèbes florentins est extraordinaire. Plusieurs, à dix ou douze ans, parlent les langues anciennes, font d’excellens vers, en grec, latin ou toscan, sont en même temps des cavaliers accomplis et de robustes gymnastes, d’ailleurs, satiriques et farceurs, et, dans leurs heures de repos, entre leurs discussions savantes et subtiles, d’une gaieté vivace et intarissable Laurent, qui sera bientôt le Magnifique, entraîne, avec tous ses camarades, toute la ville dans sa joie. Bals et banquets, tournois, représentations, mascarades se multiplient encore. L’étalage de la beauté juvénile en est le plus vif attrait. La poésie et les arts, encouragés et libérés par le dilettantisme érudit, la curiosité philosophique, l’opulence bourgeoise, la sensualité populaire, prennent, dans la vie, un rôle prépondérant.

En 1465, quand le fils du roi de Naples, Frédéric d’Aragon, débarque à Pise, Laurent court au-devant de lui. Il lui offre son recueil d’anciennes poésies toscanes, afin de l’engager dans sa lutte entreprise en faveur de la littérature populaire, dite vulgaire, trop sacrifiée par les humanistes au néo-latin et au néo-grec. Lui-même, poète exquis, prêche d’exemple, de si bon exemple que, depuis Pétrarque, on n’avait pas entendu chanter l’amour et la beauté en des rythmes si harmonieux, dans une langue si pure et vive. Dans quelques-uns de ses sonnets et canzoni remontant peut-être à cette date, la précision de l’analyse plastique et pittoresque s’enveloppe d’une telle grâce de mélancolie, avec un sentiment si vrai du paysage, que nous y trouvons déjà nos pensées modernes. Les fêtes pour Frédéric furent splendides. L’année suivante, il y en eut d’autres pour le mariage de Nannina, sœur de Laurent et Julien, avec Bernardo Ruccellaï. Celles de 1468 ont laissé le plus brillant souvenir. Au grand tournoi donné sur la place Santa-Croce Laurent porta les