Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir. Leurs robes n’étaient pas décolletées, comme elles sont aujourd’hui… La ville parut aux ambassadeurs un autre monde. » Beauté du corps, et beauté de l’esprit, depuis longtemps, cela ne se sépare plus dans l’idéal toscan et ne s’en séparera jamais. Seules, les beautés de l’âme, sa pureté, sa noblesse, y devront subir, par instans, quelques éclipses.

Avec la rentrée triomphale, en 1434, de Cosme de Médicis, le chef exilé de la faction démocratique, les choses changent tout à coup. Sous ce protecteur déclaré de l’humanisme, s’affirme, avec une réaction passionnée vers les traditions antiques, une évolution décisive de libre pensée, de libres mœurs, d’un art profane naturaliste et mondain. Durant les trente années de cette domination savante, les Florentins, heureux de l’accalmie après tant de convulsions, se croyant toujours ou feignant de se croire en république, connurent la plus belle floraison intellectuelle et imaginative, qu’on eût vue en Europe, depuis celle d’Athènes au temps de Périclès. Entre 1434 et 1464, ce ne sont que fondations pieuses ou savantes, constructions publiques ou privées, encouragemens, subsides, commandes, à tous ceux qui étudient, écrivent, parlent, à tous ceux qui savent bâtir, peindre, sculpter. Les fêtes de la beauté, aristocratiques ou plébéiennes, se succèdent et se prolongent en toute occasion, sous tous les prétextes. Il en faut voir la suite et les descriptions dans les chroniqueurs, depuis la réception, en 1436, du grand condottiere Sforza, jusqu’à celle de la reine de Chypre en 1463.

En toutes ces occasions, architectes, peintres, sculpteurs, musiciens, poètes, orateurs, lettrés, rivalisent d’activité dans l’invention et l’exécution des décorations de rues et palais, costumes, représentations dramatiques, cortèges allégoriques, divertissemens qui peuvent surexciter, sous un ciel chaud, dans une population ardente et libre, tous les enivremens de l’imagination. Officiellement le centre des réjouissances est toujours le Palazzo Vecchio, où le Médicis, absent ou présent, règne, d’ailleurs, par les conseils et commissions, tous composés de ses associés, obligés, débiteurs. En réalité, le chaud foyer des inspirations et des exemples est le palais de la Via Larga, où Cosme habite avec sa famille. L’édifice, construit par Michelozzo (1440-1443), devient un type d’art national pour la jeune Renaissance en Italie, en même, temps qu’à Bourges, l’hôtel élevé par Jacques Cœur l’argentier, correspondant et émule du banquier florentin,