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dans le Paradis. Minces et longs, encore vacillans sur des pieds incertains, ils sont bien mous à côté des plébéiens flamands. Mais quel instinct heureux de l’harmonie plastique et d’une vie parlante dans les gestes et les visages où la beauté avenante de la race indigène se précise déjà et s’exalte avec un attrait grave et pur, dans cette scène de séduction conjugale ! Quant à Masaccio, ses deux coupables, chassés de l’Eden par l’Archange, solides et charnus, marchant d’un pas ferme en pleine lumière, ils attestent, par leur allure active, le génie franc et complet du jeune maître. Les désespoirs de ces deux beaux êtres s’expriment par des gestes si expressifs, des physionomies si tragiques, dans leur fuite épeurée, qu’aucun artiste, depuis, n’a pu en trouver de plus justes. Raphaël et Michel-Ange se sont contentés de transposer cette épopée douloureuse, l’un avec plus de tendresse, l’autre avec plus de violence pathétique. On cherche donc aussi nettement à Florence la beauté et l’expression dans la vérité choisie qu’à Bruges dans la réalité crue.

Dès ce moment, à Florence, le goût du plaisir et des fêtes, publiques ou privées, dans lesquelles la force et la grâce, l’élégance et le luxe des jeunes gens et des jeunes femmes affinaient ce sens de la beauté, si aigu déjà par tempérament et par tradition, se développait en même temps que la prospérité commerciale et financière. Toutes les réglementations somptuaires, accumulées par le puritanisme religieux ou la jalousie démocratique, tombaient en désuétude. Les irrésistibles séductions de la littérature et des arts antiques chaque jour offertes par les humanistes aux imaginations avides y jetaient une fermentation sensuelle et passionnée qui s’ajoutait à l’habituelle exaltation religieuse et mystique, pour les agiter d’aspirations nouvelles et multiples. Le régime oligarchique et éclairé des Albizzi avait encore défendu les fortes et morales traditions du siècle précédent. Ses grands encouragemens étaient restés aux œuvres de beauté publique, portes du Baptistère, Coupole de Santa Maria del Fiore, etc. Fêtes, vêtemens et jeux, gardaient encore un caractère de gravité décente. « En 1428, » nous dit le bon libraire, Vespasiano de’ Bisticci, « au passage des ambassadeurs impériaux, la ville était en tout florissante. Au grand bal donné sur la place de la Seigneurie, on vit toutes les femmes de Florence si belles de corps, mais encore plus d’esprit, et si bien parées, avec tant de perles et de joyaux, que c’était merveille à