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tous deux, même réapparition de l’Antiquité dans le piédestal sculpté, la pose d’Isaac agenouillé, souvenir des sarcophages romains. Chez les deux, même survivance du moyen âge, des Français et des Pisans, dans la sincérité dramatique d’une émotion fortifiée, enhardie, par une expérience plus attentive.

Brunellesco et Ghiberti sont de même âge, à quelques mois près, vingt-cinq ans. Tous deux sont apprentis orfèvres. Mais Brunellesco, d’intelligence plus étendue et ambitieuse, pressent déjà son génie architectural. Ghiberti, plus délicat et patient, amateur d’élégances harmonieuses, associe déjà la recherche pittoresque à la recherche plastique. Chez l’un, c’est l’atavisme étrusque et latin qui va bientôt passionnément se réveiller dans les ruines des temples, chez l’autre une mystérieuse affinité avec la Grèce qui va lui faire, avant tout autre, distinguer la grâce attique de la pesanteur romaine. Chez Brunellesco, plus réaliste et plus pathétique, la composition, fortement équilibrée, a pris pour base le grand âne, devenu personnage important, et lui superpose, dans une intention pyramidale, en plein centre, l’adolescent sur l’autel : conception de constructeur. Chez Ghiberti, plus sensible et plus spontané, l’âne, le bélier, les serviteurs, s’éparpillent et s’effacent pour laisser leur rôle saillant au sacrificateur et à sa victime. Chez Brunellesco, l’Isaac, vigoureux et nerveux, redressant le genou, se débat, résiste, semble crier au secours, tandis que son implacable père, d’un élan brusque, d’un geste fanatique, lui serrant d’une main la gorge, lui plonge, de l’autre, comme un bouclier, le couteau si avant que l’Ange, descendu en hâte du ciel, a peine à lui retenir le bras. Chez Ghiberti, au contraire, l’adolescent, résigné, avec toute la douceur fière d’un néophyte martyr ou d’un jeune Apollon, posé tranquillement sur les deux genoux, les mains derrière le dos, les yeux au ciel, s’offre résolument, presque joyeusement, au sacrifice. Ici, c’est Abraham, plus humain, qui hésite, le fer suspendu au-dessus de son fils, comme s’il attendait, en effet, sa grâce ; l’Ange, de très loin, n’a qu’à faire un signe pour que le meurtre ne soit pas accompli. La beauté de l’adolescent reste chez le premier musculeuse et mouvementée, souple et calme chez le second. Les deux Isaac sont ainsi deux points de départ, deux types d’où sortiront ces innombrables représentations d’adolescens héroïques, les saint Jean-Baptiste, les David, les saint Georges, les saint Sébastien dans lesquels les Quattrecentisti,