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plus qu’un pour les sculpteurs et les peintres d’Italie, tout cela s’affirmait, avec une maîtrise grandissante, dans la multitude, innombrable déjà, de leurs ouvrages prodigalement répandus au dehors et au dedans de leurs églises et palais. C’était, principalement, dans l’étude et l’emploi de la forme humaine que cette affirmation se montrait, chaque jour, plus convaincue, sûre et audacieuse, séduisante ou imposante. Le foyer où montait le plus vivement cette grande flamme était encore le foyer où elle s’était d’abord rallumée, la Toscane, le pays des républiques turbulentes et querelleuses, et, dans la Toscane, cette étrange ville de Florence, où s’agitaient, depuis deux siècles, toutes les passions les plus contradictoires, en politique, en religion, en littérature, et qui avait fini par s’élever, implacablement triomphante, au-dessus de ses deux rivales, Pise et Sienne.


I

L’idée de beauté, infiniment variable, suivant la diversité des climats, des races, des religions, des états sociaux et politiques, et autres circonstances, est toujours conçue par l’imagination libre des poètes avant d’être réalisée, dans la matière rebelle, par la main des artistes. Que ces poètes, exprimant la pensée populaire par les paroles ou par l’écriture, soient, tour à tour, les prêtres d’Egypte et des Indes, les prophètes de la Judée, les aèdes de l’Hellade, les visionnaires, théologiens, trouvères, troubadours, conteurs du moyen âge, ou les humanistes, archéologues et philosophes de la Renaissance, c’est, d’abord, dans leurs hymnes, légendes, récits, romans, que se forment les images dont les peintres et sculpteurs reproduiront et développeront les types, par leurs visions personnelles, en des réalisations palpables. Or, nulle part autant qu’à Florence ne s’exerça cette action de la littérature. De même que, durant les XIIe, XIIIe, XIVe siècles, dans le Nord, les Evangiles authentiques ou apocryphes, l’Apocalypse, les Légendaires, les Bestiaires, les traités ecclésiastiques, les chansons épiques et les fabliaux avaient été les sources fécondes de l’inspiration plastique et pittoresque ; de même, au XVe siècle, à Florence, les poètes, les archéologues, les conteurs, furent, pour les artistes, des conseillers et des collaborateurs, excitant et alimentant, chez eux, cet enthousiasme pour la nature et pour la vie, cette ardeur dans la