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lui demandant son concours, ne lui avait imposé aucune condition et qu’il n’en aurait d’ailleurs accepté aucune. Il reste ce qu’il a toujours été, un socialiste ; et, pour que nul n’en ignorât, il a défini, en les opposant les unes aux autres, les conceptions contraires des socialistes et des radicaux. « Les socialistes, a-t-il dit, affirment que la direction des faits et des choses leur permet de croire que, pour jouir individuellement de tous les biens de la terre, les hommes seront obligés de les appréhender sous la forme sociale. Les radicaux, qu’après avoir donné à la liberté politique de l’État toutes les garanties par la reprise ou par le rachat des monopoles, ils veulent laisser à l’homme son initiative, son audace, toutes ses qualités personnelles, et que toute administration nouvelle des choses briserait le ressort même de la vie humaine. » La phrase est un peu oratoirement embrouillée, mais la pensée est claire : d’une part, c’est l’affirmation de la propriété collective ; de l’autre, celle de la propriété individuelle. Entre les deux, il y a un fossé profond comme un abîme ; mais les radicaux et les socialistes ont, paraît-il, les bras assez longs pour s’embrasser d’une rive à l’autre, et pour s’étreindre cordialement. Nous soupçonnons qu’il y a, là encore, quelque équivoque, et que la Chambre, qui les a également applaudis et affichés, n’a pas très bien compris, ou le discours de M. Viviani, ou celui de M. Clemenceau. Elle a cru les deux hommes d’accord parce qu’ils sont dans le même ministère : c’est un faible critérium d’homogénéité !

En tout cas, on ne pourra pas reprocher à M. Viviani d’avoir entraîné l’adhésion de la majorité en lui dissimulant les dangers du ministère du Travail : si nous ne les jugions pas infiniment graves, nous dirions qu’il les a plutôt exagérés. Il s’est engagé à réaliser, grâce à la poussée de l’institution nouvelle, tous les projets d’organisation collective du travail que d’autres ont esquissés avant lui, mais qu’ils ont dû laisser en suspens, et peu à peu on s’acheminera par cette voie vers le socialisme intégral. Ce ne sera pas la suppression, mais la socialisation de la propriété. Tout le monde sera propriétaire avec cette particularité que personne n’aura rien à soi : M. Viviani a fait d’ailleurs un si bel éloge de la propriété que les socialistes ont pu se demander un moment où il voulait en venir. « Où réside la sécurité sociale ? s’est-il écrié. Elle réside dans la propriété. Eh ! oui, la propriété est le bien suprême de l’homme. Elle assure à la personnalité humaine un libre développement. Elle résume sous une forme concrète la quiétude de l’esprit, le repos du corps, toutes les distractions, tous les plaisirs, tous les bonheurs. » C’est beaucoup dire !