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liques sont seuls juges de leur intérêt. La loi a déclaré que les consciences seraient libres, et que le culte le serait aussi : le gouvernement assurera l’application de la loi sur ces deux points comme sur tous les autres.

Mais que d’embarras et quelle gêne pour tous dans la situation fausse où vont se trouver l’Église et l’État, la première obligée d’adapter aux conditions de son existence un droit commun qui n’avait pas été fait pour cela, le second réduit à appliquer une loi devenue boiteuse par suite de paralysie partielle, insuffisante dès lors et en partie inefficace ! M. Briand a qualifié ces inconvéniens de « redoutables, » aussi bien pour l’État que pour l’Église : il ne s’est pas trompé. Mais est-il vrai, comme il l’a dit, que la faute en soit d’un seul côté ? M. Briand a reconnu que le Pape n’était pas un étranger en France ; il a avoué que le chef de l’Église « avait qualité » pour donner le mot d’ordre qu’il a donné ; s’il lui a refusé, on ne sait pourquoi, le titre de « souverain, » il a du moins salué en lui « une grande autorité morale. » Alors, comment expliquer qu’il n’ait voulu avoir aucun rapport avec un personnage aussi considérable et qu’il se soit contenté de mettre dans sa loi, — c’est l’expression dont il s’est servi, — le « maximum de négociations indirectes ? » Le minimum de négociations directes aurait probablement eu d’autres effets. Par quel singulier scrupule, par quelle étrange pudeur, M. Briand se l’est-il interdit ? « J’ai vu, a-t-il raconté, des membres du clergé, j’ai vu des catholiques français, je les ai entendus, j’ai pu scruter leur conscience jusqu’au tréfonds, » et, de cette large enquête, de cette consultation intime, il a conclu que clergé et catholiques se soumettaient avec docilité, mais non pas sans tristesse ni sans angoisse, à l’ordre positif qu’ils avaient reçu. « Dans un mouvement de discipline dont je ne méconnais, a-t-il dit, ni la grandeur, ni la beauté ils s’inclinent résignés et tristes. » Nous ne rechercherons pas si M. Briand n’exagère pas un peu, et même beaucoup, lorsqu’il va jusqu’à soutenir que la loi a été approuvée par le Parlement, par le pays et par tous les intéressés, « sauf un. » Mais, à supposer que l’opposition soit venue d’un seul et qu’elle ait cependant prévalu sur les dispositions conciliantes de tous les autres, n’est-ce pas avec cet opposant unique, mais si puissant dans sa solitude, qu’il aurait fallu causer ? M. Briand l’a fait avec tout le monde, sauf avec celui qui tient les clés de la porte qu’il s’efforce encore d’entr’ouvrir. S’il ne réussit pas dans son entreprise, aura-t-il vraiment le droit de rejeter sur les autres, sur un autre, tout le poids de la responsabilité ?