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qu’en 1870 que la création de l’unité allemande a enfin donné une patrie à l’ex-ministre bavarois ; et le fait est qu’il a constamment, depuis lors, consacré son « zèle » à cet Empire allemand qu’il avait, de son mieux, contribué à fonder. Mais quand un homme a eu le malheur de naître « sans patrie, » toujours quelque chose lui manque que ne sauraient remplacer, pour lui, ni son attachement aux maîtres dont il dépend, ni la conscience et le soin qu’il apporte à remplir les devoirs de sa profession. Nulle part, d’un bout à l’autre des deux volumes du prince de Hohenlohe, sous le zèle du fonctionnaire et la parfaite honorabilité du gentilhomme, nous ne sentons cet amour passionné et irréfléchi du pays natal qui, lorsque l’intérêt de celui-ci est en jeu, nous distrait malgré nous de la préoccupation de nous-mêmes, et nous rend moins sensibles aux échecs ou aux déceptions de notre amour-propre. Si infatigablement et si loyalement qu’il travaille pour l’Allemagne, ce n’est toujours qu’en fonctionnaire que le prince de Hohenlohe travaille pour elle ; tandis que son esprit lui est tout dévoué, nous avons l’impression que, dans son cœur, un coin demeure vide, — faute pour ce prince médiatisé d’avoir eu dès l’enfance, comme le commun des hommes, une patrie à aimer.

Et son malheur a voulu que, né sans patrie, il naquît aussi sans croyance religieuse. Son père était catholique, sa mère protestante ; et pendant que lui-même et ses frères étaient élevés dans la religion catholique, leurs sœurs, à côté d’eux, recevaient les leçons d’un pasteur luthérien. De là, tout de suite, dans l’âme naturellement un peu froide et tout « intellectuelle » du jeune homme, une certaine hésitation en matière de dogme, une habitude de tiédeur religieuse, sinon d’indifférence ; de là, dans son cœur, un second recoin vide, que les circonstances de sa vie allaient, et de plus en plus, l’empêcher de combler. Non pas qu’il ne se soit, d’abord, efforcé de respecter et de défendre, tout au moins, les principes religieux qu’on lui avait enseignés. A vingt et un ans, en 1840, il s’indignait de l’impiété de ses maîtres et de ses collègues à l’université d’Heidelberg. « Les plus grands philosophes, écrivait-il, se sont trouvés ramenés, par leurs recherches, aux vérités fondamentales du christianisme ; et voici que des créatures sans valeur, qui n’ont pas encore philosophé plus haut que leurs bottes, veulent s’affranchir de la foi, de la vraie piété ! » Des traces de cette disposition d’esprit ont persisté, chez lui, jusqu’en 1853, où deux longs extraits de son journal intime nous le montrent effrayé des conséquences sociales et morales de l’opposition croissante entre la science moderne et le dogme chrétien. Mais déjà la religion