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des événemens dont il nous y raconte les causes ou les circonstances secrètes. Voici un homme qui, durant plus d’un demi-siècle, a été, pour tous les maîtres qu’il a servis, un serviteur modèle, si sûr, si soumis, si dévoué, qu’ils se sont ouverts à lui de leurs confidences les plus intimes ; il meurt à quatre-vingt-deux ans, riche, comblé d’honneurs, universellement respecté : et le voici qui, sur son lit de mort, ordonne à ses héritiers de rendre aussitôt publiques toutes ces confidences qu’il a reçues de ses maîtres, dans l’exercice des diverses fonctions qu’il a occupées ! A quel sentiment peut-il avoir obéi, en agissant de cette façon ? A-t-il désiré se justifier, ou se glorifier, ou se venger, ou simplement nous surprendre, et s’imposer ainsi, de force, à notre souvenir ? Il y a là un problème curieux, dont les éditeurs des Mémoires ont tout à fait négligé de nous parler dans leur « avant-propos. » C’est ce problème qui, je l’avoue, m’a surtout intrigué, durant la lecture que je viens de faire des deux gros volumes des Mémoires de l’ex-chancelier allemand : mais, hélas ! je ne puis me flatter de l’avoir résolu. Tout au plus m’a-t-il semblé qu’une étude de la vie et de la personne du prince de Hohenlohe, telles qu’elles se manifestent à nous dans son livre d’outre-tombe, aurait de quoi faire mieux ressortir quelques-uns des élémens du problème, sauf pour nous à devoir en choisir la solution, arbitrairement, entre deux ou trois hypothèses de probabilité à peu près égale.


Dans une lettre à sa mère, le 23 novembre 1741, le jeune prince Clovis écrivait : « Je me trouve maintenant sans patrie, de par le monde ; et il faut que je poursuive avec zèle la destination qui s’accommode le mieux d’un tel manque de patrie. » Toute sa vie, en effet, il a « poursuivi sa destination » avec un « zèle » admirable ; mais, toute sa vie, il a porté la peine du hasard qui l’avait fait naître « sans patrie. » Né, en 1819, à Rotenbourg-sur-la-Fulda, il était le second fils d’un prince médiatisé qui avait passé, tour à tour, par les armées autrichienne et prussienne, et avait fini par devenir major dans l’armée bavaroise. Lui-même, après avoir rêvé d’entrer dans l’armée anglaise, avait été fonctionnaire prussien, jusqu’autour où la mort de son père ; avait fait de lui un sujet bavarois. Son frère aîné, cependant, restait au service de la Prusse ; un autre de ses frères servait l’Autriche, et, en 1870, « s’employait énergiquement à obtenir l’intervention militaire de l’Autriche contre l’Allemagne ; » plus tard, l’un de ses fils a pris la nationalité russe, pour avoir le droit de conserver, en Russie, un important domaine qui lui venait de sa mère. Ce n’est