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cosmopolitisme, l’antimilitarisme, autant de traits qui appartiennent en commun à ce que l’on a appelé la « décadence » romaine et que nous appelons notre civilisation.

Mettant ainsi à l’origine de tout le long mouvement des transformations sociales la recherche du bien-être, c’est par le jeu des forces économiques et financières que M. Ferrero va expliquer toute l’histoire romaine, depuis l’époque de Lucullus. Il fallait, pour fonder une bourgeoisie mercantile, un vaste empire et une suprématie militaire. Les hautes classes, et surtout l’oligarchie politique n’avaient d’autre ressource que les profits des opérations militaires, les riches butins, les impôts, les rançons, les présens que procuraient les guerres. « Après les grandes fortunes qu’avaient faites Lucullus et Pompée, après les millions qu’avaient gagnés leurs généraux, après les grosses sommes amassées aussi par de modestes personnages qui les avaient suivis, les hommes politiques de Rome, tous leurs amis et leurs parens rêvaient de pouvoir imiter leur exemple dans une partie du monde qui n’eût pas encore été parcourue par les armées romaines. » De là l’impérialisme romain et la nécessité des continuelles conquêtes. Les pays qui tenteront de préférence la convoitise de l’envahisseur seront, bien entendu, les plus riches. La Gaule, considérée comme pauvre, n’a été conquise que par raccroc ; envahir la Perse et reconstituer l’empire d’Alexandre, tel est le rêve qui hante César, comme il a hanté Crassus et Lucullus. Rome va désormais regarder sans cesse vers l’Orient riche et raffiné. Et par là elle travaillera à sa propre perte ; car la civilisation orientale est en contradiction absolue avec la tradition nationale de l’Italie, et il faut que l’une des deux absorbe l’autre. Ainsi présentée, la suite des événemens devient aisée à saisir. La destinée des particuliers obéit, comme celle de l’État, aux exigences toujours plus impérieuses des besoins d’argent et à la pression de plus en plus accablante des dettes. Les luttes sociales, politiques, religieuses, se ramènent à l’éternel conflit entre l’Orient et l’Occident, conflit dans lequel la naissance même et la diffusion du christianisme ne sont qu’un épisode plus considérable que les autres. Tout se ramène à quelques causes qui elles-mêmes se fondent dans une cause unique. Comment ne pas être séduit, par la parfaite cohésion de ce système, par sa belle ordonnance, par la simplicité de ses lignes et par la commodité que nous en pouvons tirer pour résoudre tout ce qui nous embarrasse ?

Pour donner une idée plus nette et plus complète de ce système d’un historien sociologue, il est nécessaire d’indiquer quelques-unes