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passionner pour ses propres théories et vouloir à toute force nous persuader. Joignez encore un talent d’exposition, un art du récit, une faculté d’évocation qui nous donnent l’illusion d’assister aux événemens. On comprend de reste que, professeur ou écrivain, M. Ferrero attire, captive, retienne le public et s’impose si fortement à l’attention.

Si l’on veut préciser ce qui assigne à M. Ferrero une place à part et qui le distingue des autres historiens de Rome, le mieux est sans doute d’appliquer à cet écrivain si hardiment systématique sa propre méthode et de montrer comment dans son œuvre tout procède d’un même point de départ, comment toutes les parties s’organisent autour d’une même idée qui en détermine aussi bien les qualités et les défauts. Or, s’il était doué pour l’histoire plutôt que pour tout autre genre, cependant M. Ferrero n’y est pas arrivé directement. Il n’a pas eu la même formation qu’un élève sorti de notre école des Chartes ou du « séminaire » de Mommsen. Il a commencé par des études de sociologie. Sa curiosité s’est d’abord fixée sur les questions économiques et financières. Il s’est habitué à les apercevoir au centre de toute société et au fond de toutes choses. Il s’est familiarisé avec les procédés auxquels ont recours les spécialistes pour résoudre ou pour agiter ces problèmes. Et l’on sait de reste que les études historiques progressent à mesure qu’on y introduit et qu’on y utilise, pour leur part, les méthodes des sciences voisines destinées à devenir des sciences annexes. La sociologie est-elle d’ailleurs une science ? Elle s’efforce du moins de dégager les lois auxquelles obéissent les sociétés humaines dans leur formation et leur décomposition. Ces lois, puisqu’elles sont des lois, doivent se comporter de façon identique, chaque fois que se trouvent réunies les mêmes conditions. Elles doivent se vérifier par des exemples. La sociologie ne saurait avoir un objet de pure spéculation, et elle comporte, au contraire, une application pratique et une utilité immédiate. Elle doit nous renseigner sur le moment de l’évolution sociale où nous sommes parvenus et nous aider à prévoir les phases par lesquelles le jeu normal des forces en présence exige que nous passions. Voulons-nous savoir, à une époque quelconque de notre développement, quels dangers nous menacent, quels abîmes nous côtoyons, ou peut-être de quel progrès la crise que nous traversons est l’inévitable préface ? Recherchons dans le passé les époques où se sont combinés les mêmes élémens, où ont agi les mêmes fermens par lesquels notre société est travaillée.

C’est ainsi que la question s’est posée à M. Ferrero. Très engagé