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communauté d’acquêts comme régime légal, de constater qu’avec les améliorations nécessaires, commandées par les faits nouveaux, elle demeure le régime de tous. Sous la réserve de ces changemens tels qu’ils ont été indiqués plus haut, elle reste particulièrement favorable aux femmes, en ce qu’elle leur assure la moitié des acquêts, et que ces acquêts sont le plus souvent l’œuvre du mari. Il faudra cependant qu’elle donne aux travailleuses quelque droit direct et indépendant sur leurs biens. Et tout d’abord ce résultat semble impossible ; car, si la communauté s’enrichit des gains du mari, on ne saurait la priver des gains de la femme. Mais la difficulté ici ne porte que sur les mots. Quel droit réclame-t-on pour les travailleuses ? Celui de toucher leurs gains, de les placer, de les administrer. Quelle est d’autre part l’essence de la communauté ? Que cette communauté devienne propriétaire des produits de l’industrie de chaque époux. Or les deux idées sont conciliables : un éminent jurisconsulte, M. Bufnoir, le montrait, il y a une vingtaine d’années, en étudiant la loi genevoise. La communauté deviendra propriétaire des gains de la femme, mais celle-ci en gardera l’administration : elle pourra donc seule placer cet argent, gérer le bien meuble ou immeuble qu’elle aura acquis ; appartenant à la communauté mais administré par la femme, ce bien ne répondra que des dettes de la femme et de la communauté ; les créanciers du mari n’y auront aucun droit. Ce sera en un mot un « bien réservé » quant à l’administration et non quant à la propriété. Les travailleuses, pour qui on réclame assez justement d’ailleurs, trouveront dans cette forme française de l’institution allemande ou suisse une large satisfaction : ceux qui réclament pour elles voudront peut-être alors convenir que leur haine de la communauté n’a plus de raison.

Ce qui fit la grande force, l’originalité et l’on peut dire la beauté durable du régime de communauté, ce fut assurément que, produit anonyme des habitudes d’un peuple, il unit pour la première fois le souci d’un idéal à l’intelligence d’un intérêt. Les lois franques avaient donné le germe : ce fut, après l’avènement de la troisième race, la nation nouvelle qui le fit éclore. L’étroite union physique et morale qui résulte du mariage doit se réaliser dans les biens : c’est l’intérêt du mariage : c’est aussi l’intérêt de la femme qui profite du patrimoine créé par le mari. Cette idée dans l’application a pu se déformer quelque peu,