Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/436

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’apport vendu, sauf aux créanciers à prouver une intention contraire. Ainsi protégée, la femme n’avait plus besoin de l’hypothèque légale, si gênante pour le crédit du mari : on a pu la supprimer.


V

Certes, prises dans leur ensemble, ces législations apportent mieux qu’une nouveauté, un progrès : il suffit, pour le reconnaître, de constater que, dans telles de leurs dispositions, elles se sont bornées à recueillir l’usage lentement formé par la pratique française, ou la règle lentement élaborée par notre jurisprudence : il en est ainsi de la suppression de l’hypothèque légale que la pratique notariale a déjà à peu près réalisée, de la création du pouvoir d’administration domestique que les tribunaux ont déjà assurée. Mais, à ne s’en tenir d’ailleurs qu’aux grandes lignes, ces lois nouvelles apportent-elles bien le modèle sur quoi nous devons nous réformer ? Doivent-elles être pour notre pays ce que notre Code civil fut, il y a cent ans, pour tous les pays civilisés, la loi même, celle qui s’impose parce qu’elle satisfait à la fois l’idéal juridique et les besoins pratiques ?

Notre Code civil rajeuni ne maintiendra sans doute pas l’incapacité des femmes. Instituée jadis dans l’intérêt exclusif du mari et comme effet de l’idée d’autorité, supprimée par le projet Cambacérès, rétablie par le Code civil, mais dans l’intérêt du mariage et celui de la femme elle-même, elle ne semble plus justifiée ni par l’un ni par l’autre de ces intérêts. La réalité est que les femmes, qu’elles soient ouvrières ou commerçantes, ou appliquées à quelque mode de l’activité intellectuelle, ou seulement chargées de la direction de leur maison, montrent en moyenne une capacité égale à celle de la moyenne des hommes. Et cette réalité tout le monde la voit, la sent, elle a acquis ce consentement universel que le jurisconsulte et le législateur n’ont plus qu’à fixer en loi. Partant de là, il faut donc dire, avec les codes allemand et suisse, que le mariage laissera entière la capacité de la femme : la femme mariée aura toute liberté de contracter : tel sera le principe. Mais l’intérêt du mariage commande une double restriction à cette capacité : il faut que le mari décide seul dans les affaires communes, il faut que, par un recours à la justice, il puisse dénoncer tout engagement de la femme qui lui nuirait à elle-même ou à l’union conjugale.