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uns aux autres. A la Cour suprême, on s’en tient au raisonnement juridique et au texte du Code ; tout ce qui est propriété mobilière, dit le Code, tombe en communauté : or le droit d’auteur, n’étant pas immeuble, est nécessairement meuble : il doit subir la règle du Code civil. À ce raisonnement logique, l’autre système oppose qu’il est d’une dangereuse abstraction de ranger le droit d’auteur dans une classification où on n’a pas pu lui faire sa place parce qu’on ne le connaissait point. D’ailleurs, si on dit « propriété littéraire et artistique, » ce n’est qu’une formule commode ; le droit d’auteur n’est une propriété ni par son objet, — une conception de l’esprit extériorisée, — ni par son mode d’exercice, — un monopole d’exploitation, — ni par sa durée qui est temporaire. Il n’est pas davantage un meuble. Il est original, il est nouveau et on ne peut forcer le Code à dire ce qu’il ne dit point. Si l’on se borne à rechercher par l’analyse le caractère de ce droit, il faut le reconnaître à la fois tout intellectuel et exclusivement personnel. Que les fruits qu’il produit tombent en communauté, cela va de soi ; mais lui-même ne sera déclaré commun que si l’on oublie sa nature vraie et à condition de méconnaître qu’il reste attaché à la personne de l’auteur.

Cette dernière considération vaut d’être retenue. Dans le débat sur le droit d’auteur, entre la Cour suprême et la pratique notariale, entre les « civilistes » qui font de l’exégèse sur le Code, et les « réalistes » qui regardent les faits, si le succès doit venir à ceux-ci, ce sera surtout par l’argument des droits de la personne. Il s’agit bien entendu de droits positifs : certains de ces droits positifs, la propriété littéraire, quelques autres, sont marqués d’un caractère énergique de personnalité qui les met à part. Mais cette notion positive, si positive que les hommes d’affaires l’appliquent comme on a vu à la liquidation de communauté d’un auteur dramatique, est naturellement dérivée de l’idée philosophique des mêmes droits. Voici longtemps que sont affirmés, proclamés, revendiqués les droits de la personne humaine. Ils ont trouvé leurs plus ardens défenseurs dans le peuple de plus en plus nombreux des producteurs intellectuels. Depuis le romantisme, toute notre littérature, à peu d’exception près, est nettement individualiste. Et à côté des grands phénomènes économiques du XIXe siècle, cet individualisme a exercé par le roman, par le théâtre, une immense influence. Il y aurait beaucoup à