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par la seule pratique. S’ils conseillent un procès, les magistrats à leur tour « interpréteront » la loi ; ils ont cet admirable moyen qu’on a trop légèrement critiqué, le fameux « distinguo » de Dumoulin ; c’est en « distinguant » toujours, qu’ils arriveront de la généralité de l’article de loi jusqu’à l’espèce en cause. Par eux, la loi qui prend des années et le fait qui est toujours changeant entrent en contact. Ce premier travail, si peu que l’affaire soit importante, est aussitôt repris, révisé par les cours d’appel. Il est enfin soumis à la Cour suprême. Là, c’est plutôt le souci de la règle qui triomphe, et la question est toujours : « Y a-t-il violation de la loi ? » Mais, même à la Cour de cassation, le magistrat tient à son rôle d’interprète ; et s’il s’en rapporte sur les faits à l’appréciation des Cours d’appel, il maintient lui aussi les faits en regard de la loi, sauf à constater que son pouvoir a rencontré une limite et que la loi se refuse à une adaptation nouvelle.

Jour par jour ainsi, d’un côté la modeste pratique notariale, d’un autre les arrêts de la jurisprudence montrent, avec une exactitude parfaite, les solutions nouvelles qu’ont sollicitées les besoins juridiques nouveaux, et par delà, dans la vie du pays, l’incessante évolution économique et morale qui a fait naître ces besoins. Tandis que la littérature du roman et du théâtre donne, des mœurs d’une époque, de ses tendances dominantes, de ses soucis généraux, la vue individuelle d’un homme à imagination et sensibilité vives, les actes des notaires et la jurisprudence renseignent directement. Il est intéressant de voir ce qui fut fait ainsi, depuis le Code, pour modifier la condition juridique de la femme mariée, ce que notre temps sollicite encore et comment le Code réformé, à défaut de l’ancien, pourra seul le lui donner.

Le XIXe siècle se signale entre tous par une révolution économique. La grande industrie apparaît ; les moyens de transports sont transformés, multipliés : le commerce prend un essor inouï. Ces phénomènes qui se précipitent exigent des capitaux considérables. Ceux des individus ne suffisent plus : il faut les grouper. Ils se groupent en effet et des sociétés se créent, dont les actions et obligations représentent très vite une fortune nouvelle. C’est la fortune mobilière qui apparaît ainsi. Le Code ne l’avait pas connue. Il ne concevait la fortune que sous la forme immobilière : c’est aux immeubles qu’il donnait ses égards, pour