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de nos contemporains, qui, dans une colonie où il est privé de la société des femmes françaises, s’ennuie, se désespère, souhaite ardemment le retour.

Veut-on voir plus avant, dans la réalité modeste et pratique de l’existence journalière, par exemple dans la gestion d’un patrimoine, comment les femmes se comportèrent ? Il est malaisé de connaître par le détail vrai l’existence d’un ménage moyen, d’honnête bourgeoisie, aux XIIIe, XVIe, XVIIIe siècles. Mais alors comme aujourd’hui, dans cette bourgeoisie moyenne, on a vu des femmes soudainement chargées, par la mort du mari, d’un fardeau d’affaires, de la direction d’un commerce ou d’une ferme, et parfaitement habiles dans une tâche où elles paraissaient neuves : des inventaires, des actes de liquidation pourraient l’établir. On a vu aussi, alors comme aujourd’hui, des femmes se montrer, à la tête de grandes communautés religieuses, également habiles dans le gouvernement des âmes et l’administration des biens. Il n’y avait donc point en elles infirmité d’intelligence ni de jugement.

Tout cela est certain, évident, trop connu. Cependant les jurisconsultes nous fournissent par contraste une opinion rude, maussade, dédaigneuse. Ils représentent, on l’a dit, la conscience juridique du pays : en eux se fixent et se formulent les tendances de tout un peuple. Ils ont écrit pour la classe moyenne, et c’est par les femmes de cette classe qu’ils ont connu et jugé toutes les femmes ; leur opinion est significative. Contemporain de Blanche de Castille, Beaumanoir écrivait au XIIIe siècle :

« Il loist à l’homme battre sa femme, sans mort et sans mehaing, quand elle le meffet. Si comme quand elle est en voie de faire folie de son corps, ou quand elle dément son baron ou maudist ; ou quand elle ne veut obéir à ses raisnables commandemens que prude femme doit faire. En tels cas et en semblables, est bien mesliers que li mari soit costierres de sa femme resnablement. »

Au XVIe siècle, d’Argentré disait : « Il y a dans cet être des mouvemens effrénés, une colère emportée, des élans tumultueux, une grande pauvreté de bon sens, une faiblesse de jugement, un orgueil indomptable. Ce sexe est inhabile à fréquenter les réunions d’hommes, et exposé à de nombreuses embûches… César nous rapporte un meilleur sentiment et les exemples d’une très antique coutume laissée par les Gaulois les plus anciens,