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cercle des soins intérieurs de la maison. Il convient que les rôles des époux soient ainsi séparés : la femme reste étrangère à l’effort du mari, et le mari donne cet effort d’autant plus vigoureux et persévérant qu’il en aura seul, et il le sait, tout le profit. Telle est dans tout notre Midi la conception ancienne de la capacité, de la condition juridique des femmes. Les Normands y ajoutèrent cette défiance qui leur est propre : ils furent aussi plus durement autoritaires : la Coutume, non seulement excluait les femmes de toute participation en gain et en perte à l’industrie des maris, mais les soumettait à leur puissance « comme des servantes. »

Il semble au contraire que la communauté, dans les pays coutumiers du centre et du Nord, ait eu plus de souci de la dignité de la femme, une idée plus complète et plus haute de l’union conjugale. « Tout ce que les époux auront gagné ensemble, la femme en prendra la moitié, » — n’est-ce pas comprendre et montrer que le mariage associe les pensées et les volontés aussi étroitement que les corps ? N’est-ce pas élever la femme à une égalité où, par ses instincts de finesse et de tact, par sa prudence, par le courage que chaque jour elle sait donner au mari, par tous les mérites de son esprit et de son cœur, elle collabore à l’édification de la fortune ? Il est vrai : cette idée juridique d’une collaboration constante pour former le patrimoine commun présente le mariage dans sa perfection la plus harmonieuse : elle résume, si l’on peut dire, dans l’ordre des biens, un très vieil idéal français et chrétien. Toutefois, il faut regarder de plus près. La puissance maritale est absolue non moins que dans le pays de droit écrit. Elle comporte d’abord l’incapacité de la femme, parce que le mari ne doit jamais être inquiété ni gêné, et pour cela seulement. Elle crée ensuite au profit du mari un droit étrange de disposition : il dispose en toute liberté du patrimoine commun ; il peut l’aliéner comme il veut, et bien mieux, il peut le « donner » à qui il lui plaît. Ce n’est plus l’associé, l’administrateur qui veille sur le bien social : c’est le despote et, comme parlent les Coutumes, « le Seigneur et Maître de la communauté. » En promettant à la femme une moitié du patrimoine commun lors de la dissolution de la communauté, on l’encourageait à donner tous ses soins à la formation de ce patrimoine ; mais on lui refusait toute garantie qu’une fois constitué, il ne fût pas anéanti par une fantaisie du mari. Dans l’intérêt exclusif de