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heures, ce sont des débauches de lectures ; elle fatigue, proclame-t-elle, « quatre gosiers » par jour, trois laquais et un invalide. Le difficile est de trouver des livres, car presque tous la dégoûtent ou l’ennuient, « l’histoire, parce que je n’ai point de curiosité, la morale, parce qu’on n’y trouve que des idées communes et peu naturelles, les romans, parce que tout ce qui tient à la galanterie me paraît fade et que la peinture des passions m’attriste. » Six mois avant sa fin, voici comment elle trace le programme d’une de ses journées : « Je ne me couche qu’à une heure ou deux, je ne dors point, j’attends les sept heures avec impatience ; mon invalide arrive, et il me lit quelquefois quatre heures avant le sommeil ; quand je m’endors, c’est à onze heures ou midi, ou souvent encore plus tard ; je ne me lève qu’à cinq ou six heures… Tout cela n’est fini qu’à sept, les visites arrivent, puis le souper, puis le loto. Voilà la journée passée, dont il ne reste rien, que le regret d’employer si mal son temps, surtout quand on réfléchit sur le peu qui en reste. »

Au mois d’août 1780, dans sa quatre-vingt-quatrième année, elle se sentit prise, un beau jour, sans maladie, sans raison apparente, d’un épuisement, d’une prostration des forces, qui la réduisirent rapidement à l’immobilité complète. Elle ne se fit point d’illusion, et c’est avec une précision parfaite qu’elle note les étapes progressives de cet acheminement vers la tombe : « Je n’ai point de fièvre, du moins on le juge ainsi, mais je suis d’une faiblesse et d’un abattement excessifs. Ma voix est éteinte, je ne puis me soutenir sur mes jambes, ni me donner aucun mouvement ; j’ai le cœur enveloppé. J’ai de la peine à croire que cet état ne m’annonce une fin prochaine ; je n’ai pas la force d’en être effrayée ! » Cette situation se soutint, sans grand changement, pendant quelques semaines, puis s’aggrava soudain dans les premiers jours de septembre. Quelqu’un de son entourage, Wiart selon l’apparence, fut chercher le curé de Saint-Sulpice, sa paroisse ; il vint, elle le reçut sans frayeur et sans répugnance. mais elle lui dit, si l’on en croit La Harpe : « Monsieur le curé, vous serez content de moi ; faites-moi seulement grâce de trois choses : ni questions, ni raisons, ni sermons. » Wiart assure néanmoins que le curé, sans se décourager, revint la visiter à diverses reprises et commença sa confession : « Mais il n’a pas pu achever, ajoute-t-il, parce que sa tête s’est perdue, et elle n’a pu recevoir les sacremens. » Le 15 septembre, elle