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aura grand monde ; » la jeune femme passera ses journées chez l’abbé de Champrond, dans la maisonnette de Montrouge ; le mari « ira et viendra » entre Montrouge et Saint-Joseph. Elle stipule également qu’elle n’aura point à s’occuper de présenter sa nièce aux personnes de sa société, « si ce n’est de la nommer à ceux et à celles avec qui elle soupera chez moi. » Bref, conclut-elle après cette énumération, « je prends mes précautions, comme Mme Pimbêche, qui ne veut pas être liée. » Encore, malgré ces mesures de défense, se demande-t-elle si l’embarras ne surpassera pas l’agrément ; elle prévoit, en tout cas, qu’elle n’y trouvera qu’une médiocre ressource : « Elle et son mari seront pour moi ce que sont les haies qu’on place sur les grands chemins bordés de précipices ; elles ne garantissent pas du danger, mais elles en diminuent la frayeur. »

Les pourparlers durèrent plus d’une année. Au mois d’août 1778, débarqua le marquis d’Aulan, précédant son épouse qui devait le joindre plus tard. Ce neveu déférent, d’humeur accommodante, d’âme simple et sans malice, ne déplut pas à cette tante difficile : « Il n’est ni piquant, ni charmant, avait-elle dit de lui d’avance, mais il est très supportable. » Après son arrivée, l’accent se fait plus chaleureux : « C’est un homme très doux, sans prétention, sans affectation ; il n’est ni embarrassé, ni empressé. Ce n’est pas un grand génie, ce n’est pas un grand esprit, mais il a le sens droit. Ce qu’il y a de fâcheux, c’est qu’il a une fort mauvaise santé ; il est forcé à vivre de régime et à se coucher de bonne heure[1]. » Mme d’Aulan n’arriva qu’en avril. Nous ne la connaissons que par la courte esquisse qu’a tracée d’elle la comtesse de Vichy[2] : « Elle est extrêmement petite et, pour vous dire sa taille, son nez va précisément à la hauteur de la tabatière de son mari ; mais elle n’est point du tout contrefaite. Elle est blanche, elle a de beaux yeux, elle est fort parlante. Son mari et elle paraissent s’aimer à la folie ; il ne l’appelle que ma chère petite amie, et elle lui dit mon fils… » Cette idylle conjugale ne cadrait guère avec le ton accoutumé du salon de Saint-Joseph ; cependant Mme du Deffand s’en accommoda, au début, mieux qu’on n’aurait pu croire et qu’elle-même ne s’y attendait : « Mon népotisme, dit-elle après trois mois d’essai, tourne mieux que je ne l’avais espéré. Ce sont de très

  1. 20 septembre 1771. — Éd. Lescure.
  2. Lettre du 30 septembre 1768. — Archives de Roanne.