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craignais que l’ordre ne fût trop austère ; mais le chevalier d’Aulan m’a rassurée. Si ma nièce a une bonne vocation, elle sera très heureuse et, ce que je compte pour un très grand bonheur, elle ne mettra pas au monde des êtres qui, sans doute, seraient malheureux. C’est un des plus grands inconvéniens de la vie ; tous les jours, je remercie le ciel de n’avoir point d’enfans ! Vous aurez une Semaine Sainte et un bréviaire ; mandez-moi si ce n’est pas le romain, et lequel convient le meiux de l’in-8° ou de l’in-12, et s’il faut qu’il soit tout en latin ou bien latin-français. Faites-moi promptement réponse, parce que j’ai peu de temps à rester à Paris. Je ne doute pas gue le chevalier d’Aulan vous ait mandé le parti que je prenais d’aller passer quelque temps à Champrond. Je n’ai point voulu vous l’apprendre avant que cela fût sûr et arrangé. Mon frère viendra à Paris me chercher au commencement du mois prochain, et nous partirons ensemble vers la fin du même mois. Je crois que j’irai d’abord à Mâcon passer quelques jours, mais peu après je me rendrai à Champrond, où je ferai venir des eaux de Vichy, pour essayer si elles rétabliront ma santé, qui est fort délabrée. Mais je serai sûrement de retour à Paris au commencement du mois d’octobre, à moins que ma santé n’y mette obstacle.

Vous croyez bien, ma chère sœur, que je me ferais un grand plaisir de vous voir à Champrond, et je compte assez sur votre amitié pour ne pas douter que vous n’en fussiez aussi fort aise. J’ignore ce que vous pensez à l’égard de M. et de Mme de Vichy[1], et je ne sais pas mieux leur façon de penser sur vous, mais si je peux mutuellement vous rendre de bons offices et qu’il en résulte pour moi le plaisir de vous voir, vous ne devez pas douter que je ne m’y emploie avec beaucoup de zèle. Je vous aime infiniment, ainsi que M. et Mme de Vichy, je compte sur votre amitié, et ce serait une grande satisfaction pour moi que de vous procurer une union parfaite… Je vous écrirai plus d’une fois avant mon départ, et je vous informerai de ma marche.

30 mars 1752. — Le chevalier d’Aulan, ma chère sœur, m’a appris la perte que vous venez de faire[2]. J’y suis fort sensible, je comprends vos regrets, mais le temps les adoucira. Je vous supplie de dire à M. d’Aulan que je partage son affliction, et que je ne lui écris pas pour lui épargner l’ennui et la fatigue d’une réponse. Dites-en autant à mon neveu, à ma nièce la religieuse et à vos deux autres filles. J’ai chargé l’abbé de commander le bréviaire et le diurnal, parce que je ne m’y entends pas, j’espère que cette commission sera faite avant mon départ. Je compte partir vers le 8 du mois de mai, être assez longtemps en route et faire de très petites journées. Ma santé est un peu meilleure, mais je suis toujours aussi maigre ; il n’y a qu’un régime exact qui puisse me rétablir, et je ne peux l’observer qu’à la campagne.

12 mai 1752. De Champrond. — J’avais remis à vous écrire, ma chère sœur, à mon arrivée ici, parce que je voulais vous rendre compte de mon voyage. Je partis de Paris le 1er de mai, j’arrivai à Roanne le 4, j’y séjournai le 5, et le samedi 6, j’arrivai à Champrond. J’ai trouvé le château

  1. La marquise d’Aulan était alors brouillée avec sa belle-sœur de Vichy.
  2. Mme d’Aulan venait de perdre sa plus jeune fille.