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y mène une vie douce et raisonnable. Je ne compte plus y aller de l’année ; il fait trop froid. Pour lui, il y restera encore du temps ; sa maison ne sera pas de sitôt habitable[1]. J’ai été aussi à Dampierre, mais me voilà fixée à Paris jusqu’au mois de janvier. Je pourrai bien alors faire un tour à Versailles. Je jouis du bonheur que j’ai de n’avoir rien à faire ; j’en connais tout le prix, et la liberté me dédommage de tout ce qui me manque par ailleurs. Je ne suis ni plus grosse ni plus maigre que je n’étais il y a dix ans ; je ne me porte point mal et, moyennant assez de régime que j’observe, j’évite les maladies. Je ne sais quel temps il fait à Avignon ; ici nous avons déjà l’hiver et, à en juger par le froid d’aujourd’hui, nous souffrirons encore plus cette année que la dernière. Ce serait affreux, surtout dans les circonstances présentes, où le blé est rare et tout hors de prix. Toutes vos filles sont donc au couvent ? Il serait bien heureux que la vocation leur vînt ; ce serait un bon débouché ; votre fils s’en trouverait bien. Embrassez-le pour moi.


J’ai dit plus haut la préférence marquée de Mme d’Aulan pour son fils, au détriment de ses filles. Mme du Deffand, comme on voit, partage ce sentiment ; son neveu l’occupe fort, et plus d’une fois, dès cette époque, elle propose pour lui des partis ; mais ses vues sont, en cette matière, terriblement pratiques ; on en pourra juger sur cet échantillon :


2 novembre 1745. — A force d’avoir fait des perquisitions, ma chère sœur, j’ai trouvé deux partis pour votre fils : l’un est Mlle de Bonac, petite-fille du maréchal de Biron ; elle a vingt-cinq ans et a 80 000 francs d’argent comptant. L’autre est Mlle de Courjon, petite-fille de feu M. de Villaser et nièce de Mme de Coussol ; elle n’a, ainsi que Mlle de Bonac, ni père, ni mère ; elle a du bien : de sa mère 2 500 francs de rente, et autant de son père, ce qui fait en tout 5 000 livres de rente ; son âge est vingt et un ans, mais elle est boiteuse. Voyez ce qui vous convient et, si vous jugez à propos que je fasse parler, pour laquelle vous vous déterminez d’abord. Elles seront malheureusement un peu vieilles pour votre fils. Faites-moi savoir ce que je dois dire de son bien, et mandez-moi vos résolutions.


A partir de cette époque, vient une série de lettres presque toutes relatives à un objet qui lui tient fort au cœur, je veux parler de son installation dans ce couvent de Saint-Joseph, auquel le nom de Mme du Deffand demeurera toujours attaché. Dans les débuts de sa liaison avec Hénault, elle avait habité d’abord une maison rue de Beaune, mais l’affluence des visiteurs qui se pressaient dans son salon le lui fit juger trop étroit et, vers 1740, elle fut s’établir à Montrouge, sous le toit de son frère l’abbé, trésorier de la Sainte-Chapelle, dont elle dirigea le

  1. Il venait de louer une maison à Montreuse.