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suivit, et lui tint compagnie fidèle au cours de cette cruelle année où tant de maux accablèrent à la fois cette jeune et charmante femme : la ruine totale de sa situation, l’abandon de l’homme qu’elle aimait, bientôt après la cécité, de terribles souffrances physiques et la lente agonie que termina une mort demeurée mystérieuse[1]. De ce long drame, la marquise fut la confidente aussi bien que la spectatrice. Quand, au lendemain de la catastrophe, elle revint à Paris, les nerfs violemment secoués, ce fut pour assister aux derniers jours de sa grand-mère, la duchesse de Choiseul, la seule personne de sa famille avec qui elle gardât des rapports assidus et qui jadis eût pris soin d’elle. Le chagrin qu’elle en eut se doubla d’un désappointement, la duchesse, dans son testament, ayant presque entièrement spolié sa descendance de ce qu’elle laissait de fortune :


Nous avons fait le partage des bijoux, mande à sa sœur Mme du Deffand[2] ; beaucoup de breloques, et puis c’est tout. Notre part de bijoux pour chacun ne montera pas à 400 livres. Nous avons un collier de perles fort beau ; nous cherchons à le vendre ; je crois que nous n’en retirerons au plus que 5 000 francs.


Le coup était sensible pour une femme qui, depuis sa séparation, était réduite au plus strict nécessaire. Enfin, pour achever la série, une autre déception, d’un ordre plus intime, aggravait sa détresse morale : l’infidélité de Fargis, l’un des seuls hommes qui lui eût inspiré, sinon un sentiment profond, du moins un goût vif et durable. Depuis le jour de cette rupture, son cœur était inoccupé, et déjà ses amis se mettaient en campagne pour chercher un consolateur : « Je suis parvenue, dit sans détour Mlle Aïssé, à faire faire connaissance à Berthier avec Mme du Deffand. Elle est belle, elle a beaucoup de grâces ; il la trouve aimable ; j’espère qu’il commencera un roman avec elle, qui durera toute la vie[3] ! »

Ce furent sans doute toutes ces raisons ensemble qui la poussèrent à essayer d’une plus stable existence et à rentrer dans la voie conjugale, en négociant un « bon accommodement, » qu’elle ferait de son mieux pour rendre « durable et honnête. « Mlle Aïssé

  1. Le 17 octobre 1727.
  2. Lettre du 24 septembre 1728. — Archives de la Drôme.
  3. Lettre du 13 août 1728. — Berthier de Sauvigny, né en 1680, était conseiller à la Chambre des requêtes. C’était un homme galant, spirituel, bien qu’un peu fat, et recherché dans les meilleures compagnies.