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lendemain de son mariage, la jeune marquise se lie avec les femmes les plus en vue, les plus audacieuses de l’époque, Mmes d’Averne, de Prie, de Parabère, assiste aux fêtes intimes, aux petits soupers du Régent, et, tour à tour, goûte à tous les plaisirs mondains, les plus risqués comme les plus innocens, avec une espèce de transport. Trois mois durant, elle eut un goût effréné pour le jeu : « Cette passion me détachait de tout, raconte-t-elle ; je ne pensais a rien. C’était le biribi que j’aimais. Je me fis horreur et je guéris de cette folie. » La comédie de société fut ensuite une de ses passions : elle monta sur les planches et voulut égaler « la Beauval et la Champmeslé, » mais le succès ne répondit pas à l’effort, et le dégoût vint vite. Elle eut aussi, pendant un temps, des velléités littéraires : une tragédie médiocre de La Motte, Inès de Castro, allait alors aux nues et faisait couler bien des larmes ; elle s’avisa d’en faire une parodie, sous la forme de mirlitons, qu’elle lança dans le monde et qui eut une vogue incroyable. Ces petits vers sont venus jusqu’à nous ; ils sont alertes, bien tournés, d’une vivacité spirituelle, mais d’une audace de mots et d’un libertinage qu’on n’attendrait guère sous la plume d’une femme de vingt-cinq ans. Au reste, elle en demeura là et, par la suite, se défendit de passer pour un bel-esprit et pour une femme-auteur : « Je ne sais, dit-elle à sa sœur[1], ce que vous entendez, quand vous me demandez mes petits ouvrages d’esprit. : . Je n’ai aucun manuscrit, ni des autres, ni de moi ; je n’ai jamais rien écrit ; ainsi, ma chère sœur, je suis hors d’état de satisfaire à votre demande. »

Ces « dissipations, » on s’en doute, ne nuisaient pas à d’autres, plus fâcheuses, et qui semblaient inévitables. A son éblouissant esprit, la marquise du Deffand joignait, dans sa jeunesse, une réelle séduction physique : petite de taille, mais svelte et bien proportionnée, elle avait, nous dit-on, le visage fin, « le plus beau teint du monde, » des yeux qui, à eux seuls, eussent suffi pour créer une réputation de beauté, « des yeux d’aigle, vifs, perçans, » étincelans de malice, où se réfléchissaient les moindres mouvemens de son Aine, les moindres nuances de sa pensée. Nombreux furent les adorateurs, presque aussi nombreux les élus. Si l’on en croit la chronique scandaleuse, Philippe, régent de France, fut le premier en date ; cette liaison

  1. Lettre du 3 mars 1755. — Archives de la Drôme.