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Anne de Vichy, marquise de Suarez d’Aulan, dont la silhouette s’est déjà profilée dans les pages qui précèdent et que nous retrouverons dans les lettres citées plus loin, et dont la plupart lui sont adressées. Fixée par son mariage dans la ville d’Avignon et ne venant que rarement à Paris, elle vécut loin de sa célèbre sœur qui, en dépit, — peut-être à cause, — de cette séparation, lui conserva toujours une sympathie spéciale. En nul membre de sa famille elle ne reconnaissait son sang comme en cette petite femme alerte et malicieuse, de tournure leste et de joli visage, à la langue acérée, à la repartie prompte, à l’humeur emportée traditionnelle chez les Vichy. « Vous êtes vive, lui écrit l’abbé, mais vous revenez aisément. Ma sœur, mon frère et moi, nous devons nous reconnaître à ce portrait. » Contrairement aux suppositions des anciens biographes[1], entre Mmes d’Aulan et du Deffand les relations épistolaires demeurèrent fréquentes et suivies, avec un perpétuel échange de services, de cadeaux, d’attentions de tout genre, et nous verrons la marquise du Deffand, après la mort de sa sœur, mander son neveu d’Aulan à Paris et l’instituer son héritier, à l’exclusion de tous les autres. J’aurai donc l’occasion de revenir sur cette branche des Vichy, et j’arrête ici cette galerie de figures secondaires, pour arriver au personnage principal du récit.


II

Sur les premières années de Mme du Deffand, nos documens n’apportent que peu d’informations nouvelles. Son père avait sur l’éducation féminine les idées de son temps : « Vous faites très bien de mettre vos filles au couvent, écrira-t-il plus tard à la marquise d’Aulan[2] ; c’est l’endroit où il faut élever les filles. » Sur ce principe, il mit les siennes, au sortir de nourrice, chez les Bénédictines de la Madeleine du Traisnel, 100, rue de Charonne, l’un des plus à la mode, le plus mondain surtout, des couvens parisiens. Les deux sœurs y reçurent les mêmes enseignemens, y vécurent dans le même milieu ; l’effet pourtant fut

  1. « La marquise du Deffand, lit-on dans la notice qui accompagne la première édition des lettres, n’a jamais eu beaucoup de relations avec sa sœur d’Aulan, qui résidait à Avignon. » Cette assertion se retrouve dans la plupart des notices ultérieures.
  2. Lettre à la marquise d’Aulan, du 25 juin 1733. — Archives de la Drôme.