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de sa famille le fit nommer grand vicaire de l’évêque de Rouen, avec promesse de décrocher bientôt un siège épiscopal. Il y fût parvenu sans doute avec un peu d’intrigue ; mais, indolence ou méfiance de soi, il se cantonna dans son poste, au vif dépit de son père, qui n’épargnait pas les bourrades à « ce petit impertinent, » indigne qu’on prît soin de lui :


Je vous remercie du désir que vous avez de me voir établi, répondait-il à ces reproches avec philosophie, mais l’évêché de Montpellier sera donné, selon toute apparence, à quelque Sulpicien, il faut en prendre son parti… Je suis dans une situation assez douce, dans une belle ville voisine de Paris, remplie de bonnes maisons, avec un nombre suffisant de confrères de la première naissance, de mon âge et de mon caractère. C’en est assez pour moi. Beaucoup de confrères sont dans le même cas. Toutes ces raisons me font patienter ; peut-être viendra-t-il un temps où tout se débouchera[1].


Quelques années plus tard, il fut nommé trésorier de la Sainte-Chapelle, à Paris ; cette sinécure lui plut, et ce fut la retraite tranquille où, pendant quarante ans, il vécut dans la paix et dans l’obscurité[2].

Ce détachement n’impliquait néanmoins ni insouciance de cœur, ni indifférence pour les siens. Tous les témoignages, au contraire, s’accordent à lui attribuer une âme sensible, aimante, pleine de simplicité et de douce bonhomie :


Votre dernière lettre m’a charmé, ma chère sœur, écrit-il à Mme d’Aulan. Vous m’assurez que vous m’aimez ; rien ne peut me toucher davantage qu’un tel aveu. Vous ne doutez pas de ma tendresse ; il est inutile de vous en donner de nouvelles assurances. Votre mari vous dira[3]le plaisir que je ressens quand je reçois de vos nouvelles ; nous ne nous entretenons que de vous. Mais il ne paraît pas se contenter de ces entretiens ; il aimerait bien mieux les faire avec vous. Il s’ennuie ici à la mort ; nous nous étudions à le retirer de la mélancolie ; nos efforts sont vains. Écrivez-lui de nous faire au moins bon visage, puisqu’il est obligé de vivre quelque temps avec nous. Vous obtiendrez plus que tout autre de son esprit, puisque vous avez son cœur… Pour moi, je l’avoue, j’aime mon beau-frère, mais je l’aime surtout parce qu’il vous rend heureuse[4].


Nous le verrons plus tard intervenir dans les querelles du ménage du Deffand, travailler, sans succès d’ailleurs, à un

  1. De Rouen, 9 avril 1738. — Archives de la Drôme.
  2. Il ne mourut qu’en 1783, dans ce même poste.
  3. Le marquis d’Aulan était à ce moment à Paris, où il passa quelques mois.
  4. Lettre du 13 octobre 1728. — Archives de la Drôme.