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Personne, écrivit-il à la marquise d’Aulan[1], ne prend une part plus grande que moi à la douleur que vous, cause la perte que vous venez de faire de monsieur votre père. Il m’honorait de ses bontés ; je le regretterai toute ma vie.


De Gaspard de Vichy, le frère aîné de Mme du Deffand, je dirai peu de choses. Le fait saillant de sa carrière fut sa liaison avec Mme d’Albon, d’où naquit Julie de Lespinasse ; on a pu, ici même, en lire naguère le douloureux récit ; je n’y reviens que pour mémoire. Par son humeur et par ses goûts, il se rapprochait de son père, autoritaire et absolu comme lui, comme lui fortement attaché à son beau domaine de Champrond, dont il ne s’éloignait qu’à regret. « Je crois qu’il s’ennuie à périr, écrit Mme du Deffand quand il la vient voir à Paris ; il n’a pas ici beaucoup de connaissances. Hors le temps qu’il emploie à ses affaires, il est fort désœuvré[2]. » Les lettres de lui qu’on possède sont remplies de conseils pratiques adressés à ses sœurs sur la gestion de leur fortune, conseils où il se révèle quelquefois plus avisé que scrupuleux. Sa sœur cadette étant aux prises avec un débiteur :


Je suis, dit-il, d’un avis différent de mon père, s’il vous a conseillé de le poursuivre à toute outrance. Je vous conseille, pour moi, de lui faire bien peur sans lui faire de mal. C’est un homme qui n’entend rien aux affaires, mais qui a suffisamment d’argent ; il ne peut prendre aucun parti, et il a une femme qui est un démon. Vous avez assez d’esprit et d’intelligence pour tirer parti de tout cela, et quand vous serez son unique créancière, vous pourrez le faire chanter comme il vous plaira.


Homme d’esprit au surplus, séduisant lorsqu’il le voulait, galant avec les femmes, s’entendant à leur l’aire la cour. Lors d’un voyage qu’il fit à Montpellier, son secrétaire, l’abbé Denis, chargé de donner de ses nouvelles à ses fils, ne tarit pas sur ses succès :


M. le Comte est gai et gaillard ; il va constamment à l’abbaye, où il y a de jeunes, jolies et aimables dames, entre autres une dont la voix l’enchante. Il lui apprend cette chanson qu’il aime tant, et qui commence par : Ah ! que vous chantez tendrement… Point de réponse là-dessus, s’il vous plaît[3] !


Sa femme, née Diane d’Albon, qu’il trompait à outrance, l’aimait avec passion. C’est avec une admiration sans borne

  1. 11 décembre 1136. — Archives de la Drôme.
  2. 4 Juillet 1744. — Archives de la Drôme.
  3. Lettre du 30 octobre 1767. — Archives de Roanne.