Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


I

Marie de Vichy, marquise du Deffand, naquit, ainsi qu’on sait, au château de Champrond, le 25 décembre 1097, de Gaspard II, comte de Vichy et d’Anne Brulart, sa femme. Elle avait deux frères et une sœur : Gaspard III, qui fut le père de Mlle de Lespinasse, Nicolas, abbé de Champ rond, et Anne, mariée au marquis d’Aulan. De ces différens personnages, je brosserai une esquisse sommaire dans la première partie de cette étude, pour aborder ensuite avec plus de détail ce qui est propre à Mme du Deffand, en donnant de larges extraits de la correspondance dont j’ai parlé plus haut, et en laissant, chaque fois qu’il me sera possible, la parole aux intéressés.

La maison de Vichy, originaire du Maçonnais, reconnaissait pour chef, à la fin du XVIIe siècle, Gaspard, comte de Vichy-Champrond, dont le mariage avec « demoiselle Anne Brulart, » fille du premier président du Parlement de Bourgogne[1] , fut célébré en l’an 1690. De la comtesse Gaspard, il reste peu de traces ; elle mourut jeune ; son époux, qui lui survécut longtemps, paraît s’être aisément consolé de cette perte. « Si feu Mme de Champrond n’avait pas eu la rage de Paris, en 1709, nous aurions vendu pour 6 800 livres de blé ! » Dans les lettres qu’on a de lui, ce souvenir dépité est la seule allusion qu’il fasse à la défunte. En revanche, on peut se faire une idée plus précise du père de Mme du Deffand, type accompli du gentilhomme campagnard de ce temps, orgueilleux de son nom, passionné pour sa terre, exact à payer ses dettes et âpre à exiger son dû, ayant, dans ses momens perdus, souci de ses enfans, mais dur et despote avec eux et les morigénant sans cesse, peu raffiné de goûts, peu cultivé d’esprit, avec un tour original et une sorte de rude franchise, qui donnent à ses boutades une allure assez pittoresque. Sa plus jeune fille, Mme d’Aulan, irritable et intéressée comme son père, sert souvent de cible à ses traits :


Je pourrais, ma fille[2], vous faire le même reproche que vous me faites, car il y avait longtemps que je n’avais eu de vos nouvelles ; j’attribuais la chose à ce qu’on vous avait envoyé, par mon ordre, une quittance mieux stipulée que celle dont vous paraissiez contente. Car, entre nous, il ne faut

  1. Elle avait une sœur, qui fut la duchesse de Luynes.
  2. Lettre du 4 avril 1733. Archives départementales de la Drôme.