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Avec la plus exquise ironie, Renan évoque, en terminant cette allocution, le critique qui, vers 1910 ou 1920, fera le procès du XIXe siècle. « Je vois d’ici son article — permettez-moi un peu de fantaisie. — Quel signe des temps, par exemple. Quel complet renversement de toutes les saines notions des choses. Quoi, n’eut-on pas l’idée, en 1883, de désigner, pour présider à la distribution des prix au lycée Louis-le-Grand, un homme in offensif assurément, mais le dernier qu’il aurait fallu choisir à un moment où il s’agissait avant tout de relever l’autorité, de se montrer ferme et de faire chaleureusement le convicium seculi ? Il nous donna de bons conseils, mais quelle mollesse et quelle absence de colère contre son temps[1]. » Eh ! que non pas ! Rassurez-vous, cher maître ! A la veille de 1910, les critiques sont plus consciencieux : ils lisent les hommes de génie avant de les juger. Ils savent que le Renan de l’âge viril fut, dans toute la force du terme, un professeur d’énergie, de vues un peu étroites seulement, et refusant trop souvent de voir la force là où elle se montre de nos jours, c’est-à-dire dans les masses populaires. Ces critiques constatent encore que, en effet, le Renan de 1883 n’était plus professeur de la même doctrine. Mais iront-ils accuser de cette attitude nouvelle les suggestions d’un tempérament « inoffensif ? » Nullement, mais plutôt tout un concours de circonstances extérieures, toute une ambiance morale qui se montra capable d’agir puissamment sur l’esprit le plus subtil, le plus impressionnable, et le plus véritablement intelligent qui ait jamais été peut-être !


VI

Après le culte de la barbarie germanique, voici l’aryanisme qui pâlit à son tour dans l’esprit de Renan. La conférence qu’il fit au Cercle Saint-Simon, le 27 janvier 1883, sur le Judaïsme comme race et comme religion efface délibérément toute frontière ethnique entre juifs et aryens. Ils sont parens depuis de longs siècles. Par la captivité de Babylone d’abord, puis par ses migrations à Alexandrie, à Rome, dans les Gaules, le peuple israélite s’est imprégné de sang étranger. Dès le début de l’ère

  1. Discours et Conférences, p. 202 et suiv.