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Le 10 avril 1879, l’illustre collaborateur du Journal des Débats achevait de balancer ses comptes avec l’Allemagne dans une lettre qu’il adressait à un ami d’outre-Rhin. Il dit tout ce que perdraient nos voisins à rompre leurs relations intellectuelles avec notre pays, et il poursuit : « Le monde n’appréciera parfaitement de vous que ce que nous lui aurons fait comprendre. Je me hâte d’ajouter que, sans vous, notre œuvre serait maigre, insuffisante. » Une fois de plus, il déclare rester fidèle aux maximes de l’Allemagne pensante, celle de Fichte, Herder, Schelling et Kant, qui fut une sorte de prolongement de notre XVIIIe siècle français. Mais il répudie désormais, sous le nom de Prusse, cette Allemagne qu’il avait pourtant prônée non moins que l’autre durant plus de quinze années : l’Allemagne de la discipline aveugle, de la fidélité opiniâtre, et du respect intact. Il nomme à présent la gloire ce « foin dont on nourrit la bête humaine. » Il voit dans l’homme qui a obéi un être à jamais perdu pour certaines délicatesses de la vie. Le service militaire à la prussienne lui paraît une école de respect exagéré, car Molière ou Voltaire y eussent « perdu leur lin sourire, » l’état de conscrit étant évidemment défavorable au génie. Tels sont les argumens peu topiques, il faut l’avouer, dont notre homme régale son correspondant teuton. Celui-ci lut sans doute l’épître avec un sourire légèrement narquois. Le ton en est trop analogue à celui de la première lettre au professeur Strauss.

Pour gagner l’humanité, il faut lui plaire, poursuit Renan imperturbable. Pour lui Claire, il faut être aimable. On ne s’impose à elle que par un sentiment large, libéral, sympathique surtout. Traitez-moi d’arriéré, conclut avec bonhomie l’épistolier qu’on accuserait plus justement de recul que de retard en tout ceci, mais telle est ma façon de voir. Et il termine en proposant aux deux nations de collaborer une fois de plus, sur de nouvelles bases. Ce sera désormais « dans tout ce qui peut donner de la grâce, de gaieté, du bonheur à la vie. » L’Allemagne, en plein essor économique et politique, avait vraiment d’autres soucis en tête que de jouer à l’humanité quelque délicieux air de flûte.

Après l’Allemagne moderne, voici l’Allemagne du passé, c’est-à-dire le germanisme et l’aryanisme théoriques, qui vont recevoir leur congé définitif de la part d’un penseur qui leur fut si longtemps accueillant. Le plus célèbre monument de cette seconde rétractation, c’est la Prière sur l’Acropole. Par un artifice