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soit bientôt arrêtée dans son essor par le défaut de charbon de terre. Mais, en tous cas, elle le sera plus certainement encore par le nivellement ethnique et par la dégénérescence des races nobles. Jusqu’à nos jours, quelques sources de jeunesse et de rénovation avaient persisté dans le sein de l’humanité et s’étaient montrées capables de ranimer à leur contact les sociétés fatiguées et caduques. Mais de telles sources peuvent tarir à la longue. Les démocrates assurent que des Barbares vivent parmi nous pour nous régénérer, et ils désignent par ce mot leurs cliens, les hommes du peuple. Décevant espoir ! ces barbares-là sont vieux et plus usés que ceux dont ils menacent le domaine. Il existe en revanche parmi les Germains et parmi les Slaves d’épaisses couches de population qui gardent encore quelque avenir. Mais, après celles-là, on ne voit plus qu’un nivellement ethnique où les élémens les plus bas prendront le dessus par le nombre, et décapiteront systématiquement ce qui pourrait renaître, par atavisme, des nobles populations du passé.

Oui, une irrémédiable décadence de l’humanité est concevable. L’absence de saines idées sur l’inégalité des races risque d’amener un total abaissement. L’inégalité des classes, qui, dans le sein d’une même race, est d’une souveraine injustice, fournit au contraire tout le secret du mouvement de l’humanité, quand elle dissimule une inégalité de races, une ancienne conquête oubliée. Le mouvement s’arrêtera donc de lui-même quand on ne connaîtra plus ni races, ni classes. « Parfois, écrit Renan, je vois la Terre dans l’avenir sous la forme d’une planète d’idiots se chauffant au soleil, dans la sordide oisiveté de l’être qui ne vise qu’à avoir le nécessaire de la vie matérielle. » Nous voilà de nouveau bien près, n’est-il pas vrai ? de la conclusion de l’Essai sur l’inégalité des races, et de ces troupeaux humains « accablés sous une morne somnolence, engourdis dans leur nullité comme les buffles qui ruminent parmi les flaques stagnantes des Marais Pontins. »

Par bonheur, l’impérialisme instinctif de Renan a des ressources que ne connaît pas celui de Gobineau. Avant d’appeler ou de regretter le règne des Aryens ou des Germains, il a prévu jadis avec délices, dans l’Avenir de la science, la domination des plébéiens régis par les intellectuels : et voici qu’il revient sur le tard à ces riantes perspectives de sa jeunesse. A défaut de rudes conducteurs des peuples tels que furent les Wikings et les