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contagion, dont la France est le foyer, sera-t-elle vraisemblablement trop lente pour lui épargner de nouvelles épreuves. Les peuples latins appellent une nouvelle invasion germanique, et la subiront, avait dit le gentilhomme, et son auditeur ne proteste point contre une si noire prophétie.

Toutefois, le libéral n’est pas sans avoir conçu lui aussi quelques remèdes, qu’il propose de tenter à tout hasard. Ce sont la réorganisation des deux Chambres, la tolérance religieuse, et enfin le progrès de l’instruction publique, qui préoccupe surtout le professeur au Collège de France. Les Universités deviendront l’une des pépinières de l’aristocratie nouvelle, et leur action éducatrice sera appuyée par l’influence esthétique d’une cour brillante et d’une capitale raffinée. Cette « cour » est déjà un peu surprenante, mais le plus inattendu des remèdes « libéraux, » c’est le remède colonial ! Car Renan paraît oublier soudain tout ce qu’il vient de dire, ou de laisser dire, au sujet du germanisme, seul élément militaire aujourd’hui conservé dans le monde, et des goûts trop pacifiques de nos paysans. L’homme du peuple, écrit-il à présent, n’est parmi nous qu’un noble déclassé. Sa lourde main est bâtie pour manier l’épée plutôt que l’outil servile. Faites-le donc conquérant. Le Chinois, le nègre, sont créés pour travailler, l’Européen pour régir. Gouvernez ces races inférieures avec justice. Afin de vous payer des bienfaits d’un gouvernement équitable, prélevez sur elles un ample douaire au profit de la race conquérante, et elles seront satisfaites. Le travail suffit à rendre heureux un fellah, un Chinois qui ne sont nullement militaires. Au contraire, si vous réduisez au travail de l’ergastule la noble race européenne, elle se révolte à bon droit.


III

En dépit des excellentes intentions de son auteur, la Réforme intellectuelle et morale est donc un livre peu clair et peu conséquent. Il se ressent des circonstances exceptionnelles qui ont présidé à sa naissance : il fut mal compris, et assez rapidement oublié.

Un succès plus durable allait bientôt s’attacher aux paradoxes plus subtils des Dialogues philosophiques. Renan les donne dans sa préface pour rédigés en 1871 : on croirait, à les lire, qu’ils sont un peu postérieurs, car on y discerne clairement les traits