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justice qui les a dictées, et s’y cramponne un instant dans sa détresse !


II

Ces dispositions d’esprit se retrouvent en partie dans le morceau le plus important que la crise de 1870-1871 ait inspiré à Renan : La réforme intellectuelle et morale de la France, rédigée peu après la seconde lettre à Strauss. En effet, l’auteur y reprend avec insistance ses précédentes menaces de réaction cléricale et féodale, et, non content cette fois de « laisser faire, » semble vouloir favoriser pour sa part l’invasion de ces fléaux vengeurs. C’est là que les adversaires de l’idée démocratique vont le plus volontiers s’approvisionner d’argumens à bon compte. C’est la dernière, mais aussi la plus nette et la plus emportée des professions de foi féodalistes de Renan. En ces pages décisives, il accorde une caresse suprême et passionnée à des convictions vieilles de près de vingt ans dans son esprit, à l’heure même où il est sur le point de les abandonner sans retour.

Voici d’abord un nouveau résumé de la philosophie féodaliste de l’histoire de France. Taine venait à la même heure, sous l’influence des mêmes inquiétudes patriotiques, à une conception de notre passé qui est assez analogue, quoique plus pondérée ; et il allait lui donner une expression magistrale dans ses Origines de la France contemporaine, où il dira que les rois capétiens furent des entrepreneurs de défense militaire et de police intérieure. La France, écrit Renan de son côté, commit un suicide le jour où elle décapita Louis XVI : car elle n’est qu’une grande société d’actionnaires formée jadis par un spéculateur de premier ordre. Ces actionnaires ont cru pouvoir se passer du chef, et continuer seuls les affaires : cela ira bien tant que les affaires seront bonnes, mais, s’il se produit des pertes, il y aura des demandes de liquidation.

Renan rappelle ensuite que nos rois furent les artisans de la formation territoriale et morale de la nation française. Les provinces de langue d’oc, par exemple, ont été réunies à l’Ile-de-France comme toutes les autres par la seule habileté des monarques capétiens : la Provence nous fut acquise grâce à l’entente cordiale de Louis XI et de Palamède de Forbin, son compère. Paris surtout doit sa fortune à ses suzerains féodaux, car cette ville,