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instinctive du gouvernement central à se consolider aux dépens des gouvernemens des Etats. Ceux-ci, non moins instinctivement, résistent. Les conflits issus de la lutte de ces influences contraires sont d’autant plus difficiles à résoudre que, dans cette république d’organisation fragile et complexe, il n’existe pas, comme aux Etats-Unis, de fonction stable et prééminente qui désigne son titulaire au rôle de conciliateur, et moins encore à celui d’arbitre.

La coexistence, déjà signalée, de deux Chambres élues par le même suffrage, jouissant, — ou bien peu s’en faut, — des mêmes privilèges, mais représentant des intérêts différens, apporte dans l’organisme politique de la Fédération une autre cause de faiblesse et d’incertitudes.

Le premier ministre, conformément à l’excellente tradition anglaise, est le chef réel du gouvernement, grand avantage pour la direction générale des affaires. Son autorité (toutes questions de personnes mises à part) eût peut-être été suffisante à faire prévaloir une politique définie, si le Parlement avait été divisé en deux partis ou groupemens de partis. Mais, depuis l’inauguration du nouveau régime et pendant tout le cours des deux législatures, dont la dernière vient de prendre fin, une situation anormale a existé dans chacune des Chambres fédérales. La presse l’a très exactement qualifiée de « triangulaire. » Dans chaque Chambre en effet, on trouvait une majorité ministérielle à peine supérieure à la minorité d’opposition[1], et par conséquent d’une solidité douteuse, et un troisième groupe, indépendant, ne représentant pas une conception particulière des intérêts nationaux, mais les aspirations d’une classe : le labour party[2].

Le concours de ce dernier était donc nécessaire au gouvernement ; et ce concours devait être acheté. Le ministère, quel qu’il fût, ne pouvait se maintenir au pouvoir qu’en usant d’expédiens, multipliant les concessions et les promesses, utilisant avec opportunité les ressources de la procédure parlementaire, se pliant aux compromis, et gagnant du temps par un choix judicieux des

  1. Quelquefois inférieure. Pendant la dernière session, la Chambre des représentans était ainsi composée : Ministériels, 20 ; Opposition, 28 ; Labour party, 25 ; Indépendans, 2.
  2. Le labour party a été au pouvoir d’avril à août 1904. La situation « triangulaire » a naturellement cessé pendant cette courte période.