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temps désespéré de la voir réalisée avant de mourir : « Mais il y avait, s’est-il écrié, un collaborateur sur qui je n’avais pas compté et à qui il est temps de rendre justice : c’est un homme excellent, connu dans l’univers entier sous le nom de Pie. » Les comptes rendus rapportent que ces accès de gaîté eurent grand succès auprès de l’auditoire. Les discours de M. Clemenceau en sont émaillés ! Parlant des évêques, il s’est plu à les qualifier, et même avec récidive, de « fonctionnaires de l’étranger, » mot qui a rempli de joie les journaux radicaux-socialistes, et qu’il ne faut peut-être prendre, ni au tragique, ni au sérieux. Admirera qui voudra cette éloquence. L’accent boulevardier qui y règne peut faire merveille en province, surtout dans l’Extrême-Midi ; et en somme M. Clemenceau, parlant à ses électeurs, sait mieux que nous le langage qui leur convient. Mais, certes ! ce n’est pas celui d’un homme d’État qu’il a tenu, et il aurait dû songer qu’on l’entendrait ailleurs que dans le Var. Mais n’y a-t-il pas songé ? N’en a-t-il pas pris hardiment son parti, et, même, ne l’a-t-il pas fait exprès ? Au moment de gravir le pouvoir, n’a-t-il pas tenu à montrer qu’il n’avait pas changé ? Tel il était autrefois, tel on le retrouve, vif, léger, caustique, tranchant, sacrifiant tout à un trait d’esprit, et donnant l’impression un peu mélancolique à son âge qu’il y a des hommes qui ne mûrissent jamais.

Pourtant, — et cela devait faire dresser l’oreille, — M. Clemenceau a parlé de quelqu’un avec un profond respect : c’est de M. Sarrien. Le bruit avait couru, et il l’avait recueilli avec un étonnement douloureux, qu’il voulait le remplacer, lui, M. Clemenceau. C’était bien mal le connaître ! Il était à cent lieues d’avoir une pensée pareille, et M. le président du Conseil pouvait compter sur son concours absolu, dévoué, reconnaissant. On a su depuis par lui-même que M. Sarrien avait depuis quelque temps déjà fait part à M. le Président de la République et au conseil des ministres de sa ferme résolution de se retirer. Cette certitude ajoutait presque de l’onction à la parole de M. Clemenceau. Nous ne voulons pas dire par là qu’il jouait une comédie à l’égard de M. Sarrien ; non ; mais il espérait rendre la transition plus facile d’un cabinet à l’autre, en laissant croire que l’accord le plus parfait n’avait pas cessé de régner entre lui et ses collègues. Telle a été, au premier abord, l’indication donnée à la presse officieuse. La conséquence à en tirer était claire. Si M. Sarrien s’en allait uniquement parce qu’il était malade, et si d’ailleurs il n’y avait aucune divergence d’opinion entre les ministres, la solution de la crise était des plus faciles : il suffisait de trouver un équivalent parlemen-