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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 octobre.


Nous avons fait un grand pas depuis quinze jours : M. Clemenceau est devenu président du Conseil, et il a formé un ministère. Que les temps sont changés ! Qui aurait dit, qui aurait cru, que M. Clemenceau devait arriver un jour à ce sommet du pouvoir d’où il a précipité tant d’autres ? Le caractère même de son esprit, qui est tout d’opposition et de démolition, ne semblait pas l’y prédestiner. Certaines circonstances l’en avaient encore éloigné. Sa barque, violemment battue par l’orage, avait été emportée loin du port par la fureur des courans contraires. Mais tout s’oublie en France. M. Clemenceau a laissé le temps faire son œuvre. La tribune lui étant fermée, il s’est armé de la plume du journaliste. Quand il est enfin rentré dans le monde parlementaire, non plus par la Chambre, mais par le Sénat, il n’a pas tardé à y reprendre une place très en vue. Cependant, même alors, personne ne s’attendait à ce qu’il devint ministre. Il l’est devenu avec M. Sarrien, et, à partir de ce moment, tout l’a servi, des élections heureuses qui ont été faites sous lui, l’effacement du président du Conseil, le silence et l’inertie de la plupart de ses collègues, ses libres allures, sa confiance en lui-même, sa hardiesse, sa volonté. Lui seul se montrait ; lui seul parlait ; lui seul s’offrait. Comment s’étonner qu’on se soit tourné vers lui lorsque M. Sarrien a donné sa démission ? Tous les autres s’abandonnaient eux-mêmes, se dérobaient, s’esquivaient. Enfin M. Clemenceau était le candidat de la presse, à laquelle il plaît pour la facilité de son abord, sa bonne humeur et ses bons mots. Un mouvement d’opinion, très artificiel sans doute, mais en apparence assez vif, s’est produit en sa faveur ; et voilà comment, dans un pays qui ne croit plus à rien, indifférent, oublieux, imprévoyant, il