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estompe et enveloppe le paysage, en souligne les valeurs, lui prête une âme changeante. Mme Wharton paraît sentir cependant tout ce qu’elle doit à M. Bourget ; c’est à lui, ou plutôt c’est à « Paul et Minnie Bourget, ses amis, en souvenir des jours d’Italie, vécus ensemble, » qu’elle a dédié The Valley of Decision, son premier ouvrage de longue haleine, car la Pierre de touche, quoiqu’elle forme un volume, n’est encore qu’une nouvelle à quatre personnages. La Vallée de Décision, au contraire, est un grand roman quasi historique où, sous prétexte de nous raconter les vicissitudes d’une petite principauté et la chute de son dernier duc, — un rêveur désenchanté du pouvoir qui a sa place marquée parmi les Rois en exil, — l’auteur nous promène à travers l’Italie du XVIIIe siècle en sa seconde moitié. Art, mœurs, politique, il touche à tout avec autant de savoir que d’autorité, un peu de pédantisme aussi. Ce qui manque dans cette œuvre chargée de documens, c’est l’originalité. En lisant, on a des réminiscences de ce même XVIIIe siècle italien peint par Vernon Lee avec beaucoup plus d’aisance et de liberté, on se rappelle l’adorable Consuelo et telles aventures de comédiens ambulans où il est dangereux de s’aventurer sur les traces de George Sand. George Sand aurait compris différemment l’évêque, l’abbé, la religieuse galante, le clergé corrompu ou intrigant de l’époque ; il faut avoir été catholique pour bien médire de l’Eglise, et surtout pour faire parler sur le ton qui convient ses plus indignes représentans : toute la finesse de la mieux avertie des Américaines ne suffit pas pour en surprendre le secret. Elle appartient aussi à George Sand, cette Fulvia, une Hypatie moderne, qui a conduit le duc son amant vers la libre pensée et qui, poursuivie par le Saint-Office, atteinte par la main meurtrière de l’ignorance et de la superstition, tombe morte à ses côtés, dans la robe de docteur qui l’a fait qualifier d’athée et de sorcière.

The Valley of Decision valut à Mme Wharton d’être placée dans son propre pays parmi les « maîtres de la fiction, » comme si elle n’eût pas apporté beaucoup plus d’imagination et de charme dans la plupart de ses nouvelles. Mais ce n’étaient que des short stories, et il est convenu que ce qui paraît sous cette rubrique n’a d’autre but que d’amuser. Or, on pouvait, tout en rencontrant çà et là des pages délicieuses, s’ennuyer un peu et d’une manière éminemment distinguée dans la Vallée de Décision ; aussi ce gros livre atteignit-il très vite son