Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 36.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Beaux de la majesté que la force procure,
Les bœufs, que tout enfant peut-être il a nourris,
Accomplissent d’un pas égal leur tâche obscure,
Les regards de songe attendris.

Dans la lourde lenteur de leur allure grave
Ils marchent résignés, impassiblement doux,
Fouettent leurs flancs massifs et, sous l’austère entrave,
Courbent leurs têtes et leurs cous.

Souvent, lorsqu’un obstacle imprévu les arrête,
L’éphèbe enfle sa voix sonore et, frémissans,
Les nobles animaux repartent vers la crête,
Dont ils savent les durs versans.

Les muscles sont tendus ; l’œil s’injecte et se fronce ;
Mais le champ défriché sur le coteau pierreux,
La terre, où le blé mûr remplacera la ronce,
Encense l’homme derrière eux.

Tout resplendit. L’argile, où va dormir la sève,
Reçoit le don suprême avant le grand repos.
Les grains volent au vent, la semaille s’achève,
Au loin mugissent des troupeaux.

L’Astre altier, d’où jaillit l’ivresse universelle,
Monte, envahit la plaine immense par degrés,
Se mire au fer du soc, parmi les poils ruisselle,
Rayonne en effluves sacrés.

Et le groupe animant le cadre grandiose,
Le sévère horizon que virent tant d’aïeux,
Semble un char triomphal menant l’apothéose
De quelque Rêve glorieux.


LEONCE DEPONT.