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VISION PASTORALE


Voici la vache blanche aux flancs tachés de noir,
La vache aux poils lustrés, si lente à se mouvoir,
Et qu’alourdit le lait crémeux de sa mamelle.
Aucune autre n’est propre et luisante comme elle.
Dans la cour de la ferme et tandis qu’on la trait,
Sur tout elle promène un œil calme et distrait.
Approchons. Ces enfans, dont la bouche gourmande
Convoite le régal que leur regard demande,
De leurs espiègles mains la caressent, sachant
Que l’animal n’est ni farouche, ni méchant,
Quand l’homme fraternel lui parle avec tendresse.
De chaque pis gonflé, que tour à tour on presse,
Jaillit le lait qui tombe en un vase de grès.
Mais un enfant déjà s’est avancé tout près
Des fins naseaux soufflant une vapeur qui fume.
Il contemple le mufle où pend un peu d’écume,
Et le groupe rieur en sautant est venu
Se camper hardiment devant le front cornu.

O douce vache aux flancs féconds, aux pis prodigues,
Que n’ai-je su, de miel, d’olives et de figues,
Ainsi qu’un pâtre grec vivre et, dans mon verger,
Aux vains rêves d’orgueil devenir étranger !
Que n’ai-je été l’obscur laboureur que contente
Le plus modeste don de la vie inconstante,
Que réjouit la moindre offrande du destin,
Et qui n’a pas quitté le refuge certain !
Que n’ai-je su, goûtant le bonheur véritable,
De mon pressoir vineux à ma rustique étable,
Et de la grange pleine au bourdonnant rucher,
M’entourer d’innocence et d’ombre, sans chercher,
O vache, dont on croit l’âme et l’instinct aveugles,
Vers quelle immense énigme éternelle tu beugles !


TROUPE ERRANTE


En désordre derrière un bouc nauséabond,
De qui la gravité s’émeut du moindre bond,