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Constance, qui est un ancêtre trop récent : on le rattache lui-même, par une généalogie peu certaine et à coup sûr ignorée de la plupart des gens (le rhéteur l’avoue lui-même), à Claude le Gothique, le restaurateur de l’unité romaine. C’est cette descendance, affirme-t-on hardiment, qui a valu à Constance de monter sur le trône. Constantin est le troisième souverain de la même race ; cela le distingue profondément de tous ses collègues : il est « né empereur, » il a « mérité l’Empire par le seul fait de naître, » « le foyer paternel l’a vu successeur légitime de Constance. » L’idée se répand, et s’affermit, qu’un bon empereur doit être de race impériale.

Elle se retrouve en effet chez d’autres écrivains du IVe siècle. Elle existe dans la compilation de l’Histoire Auguste, où le nom de Claude est toujours mentionné avec ferveur, et où l’on rappelle la glorieuse destinée réservée à sa postérité. Elle existe aussi chez Lactance, qui n’aime pas voir arriver au trône des « inconnus » comme il les appelle dédaigneusement, et qui en revanche trouve naturel que Constance remette son autorité entre les mains de son fils, que les soldats le préfèrent à d’obscurs aventuriers. Lactance va même jusqu’à admettre que Maxence a des droits à l’Empire simplement parce qu’il est fils d’un des Augustes. Évidemment ni Lactance ni les Panégyristes n’ont inventé une pareille doctrine : c’est celle de Constantin lui-même, dont elle favorise les prétentions. Lactance, dont on connaît les relations personnelles avec lui, s’inspire de sa théorie, et les Panégyristes travaillent à la divulguer, à tel point qu’on pourrait presque regarder certains de leurs discours comme des manifestes politiques destinés à exposer les titres du fils de Constance, du descendant de Claude. Il est naturel d’ailleurs que les rhéteurs gaulois aient embrassé cette opinion avec zèle : la nouvelle dynastie, illyrienne d’origine, était devenue gauloise par le long séjour de Constance, puis de Constantin, dans notre pays. Quoi qu’il en soit, cette thèse était destinée à survivre au prince qui l’inspirait et aux orateurs qui l’énonçaient. La loi de l’hérédité est devenue la règle admise, sinon toujours suivie, d’une part dans l’Empire byzantin, de l’autre dans les royautés semi-barbares de l’Occident germano-latin, et, par cet intermédiaire, dans les royautés modernes. Quand on songe à la fortune qu’a eue cette doctrine, il n’est pas sans intérêt de se rappeler les obscurs rhéteurs qui l’ont les premiers formulée.