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couronne dignement tout cet édifice de flatteries. Ici encore, ce qui était un usage consacré, une institution officielle, devient un thème de rhétorique courtisanesque. En soi-même, le culte impérial avait une signification politique ; il n’était que l’expression, sous forme religieuse, de la fidélité des peuples soumis, de leur attachement au gouvernement central, de leur reconnaissance pour les bienfaits dont les faisait jouir la paix romaine. Mais pour les Panégyristes, il devient trop souvent une source d’inventions adulatrices. Tantôt le souverain est spécialement comparé à tel dieu particulier dont il porte le nom, à son « patron, » si j’ose parler ainsi. Ailleurs il ne s’agit que d’une assimilation vague. Les princes sont « associés à la divinité, » ils sont « nés des dieux, » ils ont eux-mêmes une âme divine, « non point humble et périssable comme celle des autres hommes, mais céleste et éternelle ; » ils sont appelés à une existence infinie ; et c’est de leur essence divine que provient leur infatigable activité. Encore est-ce presque leur faire injure que de les mettre seulement au rang des dieux : leur divinité est plus certaine que celle de Jupiter ou d’Hercule, car elle n’est pas uniquement attestée par la tradition, elle est réelle, actuelle et tangible.

Quelquefois, pourtant, les Panégyristes paraissent sentir eux-mêmes combien ces louanges à jet continu sont cruellement monotones, et, pour en varier au moins l’expression, ils imaginent de les déguiser sous la forme du blâme. Ils reprochent à Constantin, par exemple, tantôt d’avoir voulu se dérober au fardeau du pouvoir, tantôt d’être trop modeste et de ne pas faire valoir assez ses bienfaits, tantôt d’être trop imprudent, trop ardent au combat, de payer, de sa personne outre mesure, et de sacrifier pour ses sujets une vie cependant si précieuse, tantôt d’être trop bon pour ses ennemis. Puis bien vite, comme s’ils avaient réellement risqué de froisser l’Empereur, ils se hâtent de demander pardon de la liberté grande. Ces feintes protestations suivies de feintes excuses, ces détours compliqués qui aboutissent toujours à la flatterie, ont quelque chose d’agaçant dans leur fausse ingéniosité : l’éloge direct est encore moins désagréable, étant plus franc et plus simple.

Quelquefois aussi le parti pris d’adulation perpétuelle des rhéteurs est mis à une rude épreuve. La conduite des empereurs présente maints reviremens déconcertans ; ils changent de