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noms de la république romaine sont tour à tour utilisés, j’allais dire exploités, pour orner les phrases et nourrir les développemens. Avec l’histoire, la morale, une morale banale et prudhommesque, est aussi d’un grand secours, et nous voyons, gravement énoncées, des pensées neuves comme celles-ci : que la bonne conscience triomphe toujours tôt ou tard ; que les honnêtes gens ont un ascendant irrésistible sur les méchans ; que le vrai courage change de nature suivant les périls auxquels il est exposé. Les philosophes ayant jadis distingué quatre vertus cardinales : la justice, la prudence, le courage et la tempérance, les rhéteurs s’accrochent à cette classification pour énumérer les qualités de ceux qu’ils célèbrent. Quelquefois le lieu commun revêt la forme de la comparaison : parallèle entre la descente d’Annibal en Italie et l’arrivée de Dioclétien et de son collègue, parallèles entre Constantin et Maxence, entre Constantin et Alexandre, entre Constantin et César : tous ces rhéteurs semblent vraiment ne pouvoir penser que sous forme symétrique. Comme on peut s’y attendre, toutes ces idées, et bien d’autres, sont ressassées à perpétuité. L’orateur est trop content d’en avoir trouvé une pour la lâcher sans lui avoir fait rendre tout ce qu’elle peut donner. Naturellement, à se diluer ainsi, la pensée s’affadit encore davantage. L’amplification prolixe fait paraître le lieu commun, s’il est possible, plus terne et plus vide qu’il n’est en lui-même.

Plus l’idée est banale, plus les rhéteurs cherchent à la relever par une forme imprévue et saisissante. Ils s’y prennent de deux manières : ils visent tantôt à imposer par la majesté, tantôt à amuser par l’esprit. Le malheur est qu’il n’y a rien de vraiment majestueux ni de vraiment spirituel dans le fond de leur pensée. Et dès lors ils prennent l’emphase pour la grandeur et la subtilité pour la finesse.

L’emphase apparaît dans des hyperboles grotesques à force d’être outrées. Qu’on lise, dans le IIIe Panégyrique, le récit du voyage de Dioclétien et de Maximien en Italie : on y verra que leur course a été si rapide qu’on a cru que le Soleil et la Lune leur avaient prêté leurs chars ; que le peuple de Milan était si empressé à les voir que les maisons mêmes se sont presque déplacées pour aller à leur rencontre ; que Rome s’est dressée sur la pointe de ses collines pour les apercevoir de loin, et autres inventions qui semblent plutôt des parodies que des